Une Ironie Abusive de l’Histoire

Une Ironie Abusive de l’Histoire

Boukan News, 10/20/2024 – En octobre 1937, des êtres humains à la peau noire furent massacrés sur les rives orientales de la rivière Massacre, dont les eaux bleu clair traversent l’île d’Haïti du nord au sud. Ce décor funeste, jadis théâtre d’espoirs et de luttes, se trouvait dans les villes de Dajabón, Monte Cristi, et Valverde. Depuis 1503, ces hommes et femmes, arrachés aux côtes africaines dans un processus d’extraction inhumain et génocidaire orchestré par Las Casas, vivaient sur ces terres. De 1503 à 1803, ils n’étaient ni haïtiens ni dominicains : ils y vivaient esclaves, conformément à la volonté de Las Casas, réduits à servir la fortune, la puissance, et l’arrogance du colon blanc, sacrifiant leurs vies pour des rêves qui n’étaient pas les leurs.

Au lendemain du traité de Ryswick, ces Africains réduits à l’esclavage furent contraints de dorer les atours de la couronne d’Espagne. Puis, avec le traité de Bâle, ils devinrent esclaves dans la colonie française de Saint-Domingue, sur une île d’une superficie de soixante-dix-huit mille sept cent cinquante kilomètres carrés (78 750 km²), une terre trempée de larmes, de sueur, et de sang africain. Depuis l’abolition de l’esclavage, le 29 août 1793, ils étaient des hommes et des femmes libres vivant sur les terres de Dajabón, de Monte Cristi, et de Valverde. L’audacieuse constitution de Toussaint Louverture et l’histoire les placèrent sous la juridiction d’un gouverneur noir, qui avait proclamé la liberté des siens. Alors, sous la bannière de la dignité humaine, ils allaient conquérir le droit de vivre en tant qu’êtres libres.

Les fils et filles de cette terre, arrachés de leurs patries ancestrales, levèrent la tête et défièrent l’ordre mondial. Sur cette île, ils brisèrent les chaînes, repoussèrent les plus grandes armées de l’époque, et proclamèrent leur liberté, ébranlant les fondations même du colonialisme. Ces hommes et ces femmes, autrefois réduits en esclavage, se levèrent et, dans un élan fulgurant de bravoure, gravèrent leurs noms dans l’histoire de l’humanité. Ils firent d’Haïti la première république noire, le premier pays à briser les fers de l’esclavage, le premier à déclarer que la liberté n’a ni prix ni couleur.

Ainsi arriva le premier janvier 1804, Haïti dans un sursaut glorieux de courage et d’unité se dressa en nation.

De 1795 à 1844, aucune frontière ne sépara l’île. En 1929, alors qu’Haïti était sous l’occupation brutale des États-Unis, alors qu’elle n’était ni libre, ni souveraine, ni indépendante, on lui fait signer, pistolet sur la tempe, un traité inique, en fait, un coup asséné sous le couvert du droit international. Ce traité exigeait d’Haïti qu’elle déplace ses citoyens noirs, qu’elle cède une portion de son territoire sacré, gagnée au prix du sang versé lors de la bataille de novembre 1803, et qu’elle soumette à une décision léonine les enfants de Dessalines et de Toussaint.

Les (Dominicains), originellement Haïtiens, rêvaient de s’approprier ces terres sans y tolérer les Haïtiens noirs. S’ils avaient été des Haïtiens à la peau claire, leur destin aurait été bien différent. L’histoire retient qu’environ Trente Cinq Mille (35000) d’entre les nationaux furent massacrés, victimes de la couleur de leur peau et de leurs origines. Ils périrent sous des coups de machettes, de couteaux, et de fusils, et la rivière Massacre, jadis témoin de l’indépendance haïtienne, devint le symbole d’une tragédie d’une effroyable cruauté.

Puisque ces Haïtiens vivaient sur leurs terres de Dajabón, de Monte Cristi et de Valverde, des localités, parties intégrantes du territoire haïtien, celles-ci ne pouvaient être ni enlevées, ni leurs habitants expulsés. Tout cela se passe sous le regard amusé de la communauté internationale. Ce drame sanglant réaffirme une leçon amère : le monde désirait des terres haïtiennes, mais pas les Haïtiens. Le sort de la République d’Haïti, divisée en deux en 1844 puis rapetissée en 1929, dépouillée de l’île de la Navase, ravagée par la confiscation de sa souveraineté, est un triste rappel de l’ombre fatale des États-Unis qui plane sur elle. Cette nation, née dans un éclat de gloire, fut condamnée à subir les coups et les blessures d’une Histoire marquée par l’injustice.

Aujourd’hui, que l’on se souvienne de 1804, pas seulement pour la fierté qu’elle inspire, mais aussi pour la dette morale qu’elle impose au monde. Haïti, ayant défié les empires et éclaté le joug de l’asservissement, mérite non seulement notre respect, mais notre engagement à veiller à ce que justice, vérité, et liberté demeurent le socle sur lequel repose l’humanité tout entière.

Dr. Haendel Carré

 

3 Comments

    • Haendel tu relates le fait historique avec précision et fluidité.
      Ton texte nous renvoie à la constitution de 1801. C’est de Santo Domingo que Toussaint Louverture convoque une assemblée constituante le 3 février 1801…parmi les constituants on retrouve “Bernard Borgella et Lacour (Ouest), Julien Raymond et Etienne Viard (Nord), Philippe André Collet et Gaston Nogérée (Sud), Juan Mancebo et Francisco Morillas (Ozama), Carlos Roxas et Andres Munoz (Cibao)” – Le projet national de Toussaint Louverture et la constitution de 1801 par CLAUDE MOISE, édition CIDIHCA 2001-
      La décolonisation ( avant la lettre), la liberté générale concerne non pas une partie Ouest ou Est, mais toute l’île.

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