Une brève lueur d’espoir : puis le chaos revient au galop

 

Une brève lueur d’espoir : puis le chaos revient au galop

Joseph W. Alliance

Boukan News, 10/30/2024 – L’incapacité de l’ancien Premier ministre Ariel Henry à s’attaquer à l’insécurité et à la violence des gangs a inévitablement conduit à son éviction. L’attaque coordonnée des gangs regroupés sous la bannière de Viv Ansanm en février 2024, ciblant les institutions publiques et les infrastructures essentielles telles que les ports et les aéroports, a condamné Ariel Henry à faire les frais d’une sorte de coup d’État in absentia. Il faut le dire, l’insécurité est le nœud gordien de l’énigme complexe, voire du casse-tête chinois, dans lequel le pays se trouve embourbé aujourd’hui.

Résigné à son sort, Henry a finalement consenti à sa démission en mars, obligeant le pays à emprunter une fois de plus la voie de la transition. L’option d’un conseil présidentiel et d’un nouveau Premier ministre pour reprendre les rênes, bien qu’ayant suscité des remous et des divergences, s’est imposée comme une voie acceptable pour tenter de sortir le pays de ce calvaire. Dans un premier temps, si des doutes importants persistaient envers les acteurs traditionnels de la classe politique siégeant au Conseil présidentiel de transition, la nomination de Garry Conille a, quant à elle, suscité un certain optimisme.

Fonctionnaire international avec un long parcours au sein du système onusien, il semblait posséder l’expérience et la vision nécessaires pour relever un défi aussi colossal. Son passage éclair sous l’administration de Michel Martelly semblait appartenir au passé, et son retour était perçu sous de meilleurs auspices. Parallèlement, l’arrivée des soldats kényans, bien que controversée, symbolisait une main tendue de la communauté internationale pour contenir la violence. Pendant un bref instant, ce changement à la tête de l’État a fait frémir les gangs, et une diminution, quoique marginale, de la violence a alimenté l’espoir d’une stabilisation en marche.

Cependant, cette accalmie fut de courte durée et la fenêtre d’espoir est en train de se refermer très vite. En quelques mois, les habitudes enracinées, les vices, les atavismes et les divisions des dirigeants ont progressivement refait surface, ramenant le chaos. Les querelles de pouvoir entre le CPT et la Primature ont éclipsé les véritables priorités de la transition : sécurité, élections, réformes constitutionnelles. Le cycle se répète : une lueur d’espoir vite éteinte par les mêmes forces délétères, replongeant le pays dans l’incertitude et l’instabilité. À bien des égards, la situation a même empiré. Aujourd’hui, plus de 700 000 personnes sont déplacées à cause de la violence des gangs, contre environ 580 000 en août dernier.

Les attaques répétées dans la zone métropolitaine, à l’Arcahaie, et le drame de Pont-Sondé montrent que les gangs ont repris confiance, profitant de la faiblesse de leadership des meneurs de la transition pour réorienter le momentum en leur faveur et terroriser une population livrée à elle-même.

Le vendredi 25 octobre, l’ambassade américaine a annoncé envisager l’évacuation d’une vingtaine de membres de son personnel après que deux de ses véhicules ont été pris pour cibles par des projectiles, lors d’une attaque menée par les gangs de 400 Mawozo et de Chen Mechan, selon des informations obtenues par CNN. L’ambassadeur américain, Dennis B. Hankins, a également révélé lors de son entretien avec le journaliste Wendell Théodore dans l’émission Le Point que l’ambassade avait dû engager des échanges limités avec des chefs de gangs, dans l’espoir de « contrôler la sécurité dans la région de l’ambassade ». Ces déclarations impliquent que les missions diplomatiques à Port-au-Prince reconnaissent désormais, de facto, le pouvoir des gangs, les élevant ainsi au statut d’interlocuteurs incontournables pour garantir la sécurité de leurs propres opérations sur le sol haïtien. Une situation qui marque une profonde atteinte à l’autorité de l’État haïtien.

L’engagement international envers Haïti semble également marqué par l’ambiguïté et les demi-mesures. Bien que la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) ait déployé quelques troupes, cet effectif paraît insuffisant face à l’ampleur de la crise. Ce soutien limité donne l’impression d’une aide symbolique, plutôt que d’un véritable engagement à sortir le pays de la spirale de violence et d’instabilité.

Au Conseil de sécurité, les rapports de la secrétaire du Bureau intégré des Nations-unies en Haïti (BINUH) Maria Isabel Salvador, ne font qu’exposer la détérioration continue de la situation, sans qu’une action concrète et décisive ne semble à l’ordre du jour. “La situation en Haïti s’est aggravée de manière regrettable”, contente-t-elle de déclarer lors de son briefing au Conseil de sécurité de l’ONU le 22 octobre dernier.

Face à cette inertie, sur le terrain comme au sein des institutions internationales, la population haïtienne demeure piégée entre un gouvernement fragile et une communauté internationale elle-même incertaine des voies à emprunter pour aider durablement Haïti.

À ce tournant décisif, le destin d’Haïti repose entre les mains de ses propres citoyens. La realpolitik impose une réalité incontournable : nous ne pouvons compter sur personne d’autre pour affronter nos défis. Indépendamment des circonstances qui vous ont menés au pouvoir ou de l’appui de certains secteurs internationaux, vous demeurez les seuls maîtres de votre pays. Vous n’avez de devoirs et de comptes à rendre qu’à Haïti. Soyez audacieux. Vous n’avez plus rien à perdre. Aujourd’hui, du CPT à la Primature, vous devez tous proclamer d’une seule voix les mots de notre père fondateur, Jean-Jacques Dessalines : “Que m’importe le jugement de la postérité, pourvu que je sauve mon pays.”

Le gouvernement haïtien se trouve à ce tournant historique où la stabilité du pays dépend de sa capacité à agir avec détermination et clarté. Pour restaurer l’ordre et renforcer la confiance de la population, il doit impérativement réorienter son programme autour de la sécurité, de la stabilité et du bien-être collectif. L’adhésion rigoureuse à la feuille de route définie par l’accord du 3 avril, avec un engagement ferme pour des élections transparentes et des réformes structurelles, est cruciale. Il est temps de faire preuve de leadership et de responsabilité, en privilégiant les intérêts de la nation avant tout.

Joseph W. Alliance

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