Pas de Place à l’Auberge. Une Réflexion de Noel sur la Crise d’Haïti.

Boukan News, 12/24/2024 – En cette veille de Noël, alors que les lumières scintillent à travers le monde, les rues d’Haïti résonnent des pas de l’exode. À Port-au-Prince, à Carrefour, à Cité Soleil, les mères bercent leurs enfants non pas dans des crèches d’espoir, mais dans les ombres de la peur. Ils sont la Sainte Famille moderne, cherchant refuge, ne trouvant aucun abri, leur voyage sans fin sur leur propre terre sacrée.
Ce soir, alors que nous nous souvenons d’un enfant né pour apporter la lumière dans les ténèbres, les enfants d’Haïti naissent dans une obscurité fabriquée par les hommes. Les gangs qui revendiquent leur territoire, tels des Hérodes modernes, ne portent pas de couronnes, mais commercent dans la même monnaie de peur et d’infanticide. À Croix-des-Bouquets, à Tabarre, à Delmas, le sang des innocents teinte la terre pendant que le monde détourne le regard, comme si ce massacre moderne était trop banal pour mériter leur attention.
Aux dirigeants d’Haïti, passés et présents, qui ont échangé leur bâton de berger contre l’épée du tyran : N’entendez-vous pas l’écho de ce premier Noël ? Quand un enfant est né pour défier l’empire, pour relever les brisés, pour proclamer la liberté aux captifs ? Votre peuple n’est pas du bétail à parquer entre des zones de terreur, ni des marchandises à échanger dans vos jeux de pouvoir.
À la communauté internationale qui façonne le destin d’Haïti depuis des bureaux climatisés : Votre “patience stratégique” se paie en vies haïtiennes. Pendant que vous débattez de protocoles et de conditions, des mères enterrent leurs enfants, des familles se dissolvent dans la diaspora, et une nation fière se fragmente sous le poids d’un chaos manufacturé. Seriez-vous si patients s’il s’agissait de vos enfants dormant sur des sols en béton, de vos parents mourant sans médicaments, de vos sœurs disparaissant dans la nuit ?
Mais au peuple haïtien : Vous qui portez dans vos veines le sang des révolutionnaires qui ont osé proclamer les premiers que les vies noires comptaient, qui ont forgé une nation des feux de l’esclavage – souvenez-vous de cette veille de Noël. Comme ce premier Noël, les ténèbres semblent totales, écrasantes, absolues. Mais c’est dans de telles ténèbres que la lumière a jailli.
Vos ancêtres n’ont pas attendu de sauveurs étrangers. Ils sont devenus leurs propres messies. La révolution d’aujourd’hui n’a pas besoin de résonner de coups de feu – qu’elle résonne de la voix unifiée d’un peuple qui refuse d’être réfugié sur sa propre terre. Que ce Noël marque non pas seulement la naissance d’un sauveur, mais la renaissance de trois millions de sauveurs, chaque Haïtien debout, disant “Assez !”
La crèche n’a jamais été destinée à être une adresse permanente. Pas plus que les abris temporaires et les camps de fortune qui hébergent aujourd’hui les déplacés d’Haïti. En ce Noël, alors que le monde célèbre une naissance qui promettait la délivrance, qu’il soit témoin d’une autre révolution de dignité. Que chaque cœur haïtien s’embrase du même feu qui brûlait en 1804 – non pour détruire, mais pour illuminer le chemin du retour.
À chaque mère haïtienne berçant son enfant ce soir, à chaque père montant la garde dans l’obscurité, à chaque jeune rêvant d’un avenir qui n’exige pas la fuite : Vous n’êtes pas oubliés. Votre souffrance n’est pas invisible. Votre résistance n’est pas vaine. Le même esprit qui a brisé les chaînes il y a deux siècles vit toujours dans vos veines, pulsant au rythme de la liberté.
En cette veille de Noël, que le cri de “La Liberté ou la Mort” se transforme en “La Liberté ET la Vie.” Que ce soit le dernier Noël de terreur, la dernière saison de déplacement. Le messie que vous attendez ne viendra pas de l’étranger – il vit dans le courage collectif d’un peuple qui a toujours su se relever.
Ayiti cheri, votre nuit la plus sombre ne durera pas éternellement. L’aube de votre prochaine libération n’attend pas une intervention étrangère, mais la volonté unie de votre peuple de reconquérir sa patrie, rue par rue, quartier par quartier, jusqu’à ce que les gangs qui jouent à Hérode ne trouvent plus de place dans votre auberge.
En ce Noël, que vos larmes arrosent les graines de la liberté de demain. Que vos pas, forcés à l’exode aujourd’hui, marquent le chemin de votre retour demain. Que vos petits-enfants parlent de ce Noël comme celui où Haïti a commencé à guérir – non par le salut extérieur, mais par le soulèvement de la dignité dans chaque cœur haïtien qui bat pour la liberté.
Pierre R Raymond