L’Hypocrisie Autour de Jacques Roumain.
« La principale porte d’entrée pour aborder Roumain, c’est le marxisme ». Yves Dorestal
Par Joel Leon
Haïti, le foyer du « réalisme merveilleux ». « Les hommes de mon pays », ils sont forts en hardiesse et pensent pouvoir tout galvauder ou ironiser. Depuis les années 50, soit quelques années après la mort précipitée de Jacques Roumain, le combat était déjà engagé contre la récupération honteuse du leader révolutionnaire. Anthony Lespes, depuis 1954 dénonça déjà cette tentative de la « bourgeoisie boutiquière », fortement réactionnaire et anti national, à travers des articles de journaux très amers à leur endroit. Plus de 50 ans après, le combat se poursuit pour conserver l’état d’âme du leaders communiste, Jacques roumain. La dissimulation des falsificateurs se poursuit, ils veulent vider l’essentiel du contenu de l’écrivain en l’affublant de qualificatifs honorifiques de toutes sortes, excepter de l’appeler par son nom propre, leader communiste. Ce combat pour l’héritage de Jacques Roumain a une signification profonde a tous ceux qui poursuivent la lutte qu’il a incarné en Haïti contre l’ordre impérial pendant plus de 20 ans. C’est une croisade pour rétablir la vérité historique, et contrecarrer les dénonciations mensongères contre les masses populaires haïtiennes, à savoir que la lutte révolutionnaire ne puisse rien produire.
Jacques Roumain est le produit typique des luttes paysannes, syndicales, estudiantines, des jeunes conscients et des intellectuels révolutionnaires de son époque. Donc, tout éloignement de ses racines sociologiques et politiques, constitue une fourberie de la part de la bourgeoisie et ses valets de porter un coup culturel contre l’univers créatif des masses populaires. La réalité sociale des pauvres est une source d’inspiration féconde et intarissable a tout humaniste qui rejette l’ordre d’exploitation. Ils sont nombreux, ceux qui ont abandonné leurs origines sociales et rejeté comme répugnantes les pratiques de domination de classe, pour s’adonner à la cause des pauvres en perpétuelle souffrance. Jacques Roumain fut l’un d’entre eux et, probablement le plus remarquable de tous en Haïti.
A l’occasion du centième anniversaire de naissance de Roumain, la réaction lance une offensive psychologique implacable pour altérer le leader marxiste-léniniste au profit de leur cause. Des intellectuels haïtiens se lancent dans une série d’activités commémoratives pour marquer le centenaire.
Né le 4 juin 1907, il allait marquer de façon irréversible la littérature humaniste mondiale, particulièrement latino-américaine. Cette année 2007, marque son centième anniversaire de naissance qui, curieusement coïncide avec une réalité répugnante qu’est l’occupation du territoire national. Une réalité qu’il avait combattue avec la plus grande fougue pendant son temps. Donc, la décision de marquer le centenaire de Roumain en grandes pompes est plus que louable. En peu de mots c’est lui rendre justice et apprécier ses œuvres et sa militance pour une Haïti souveraine.
Mon embarras commença en faisant deux constats :
- Une récupération de Roumain par la réaction alliée avec une certaine gauche contre-révolutionnaire, collabo et anti populaire.
- Le sabotage de la cérémonie du bicentenaire de l’indépendance, 1er janvier 2004, et la répugnante hypocrisie autour du centenaire de Jacques Roumain, 4 juin 2007.
Pour moi, il s’agit de l’annihilation de Jacques Roumain. Dès le mois de février, le gouvernement et d’autres secteurs de l’université d’Haïti annonçaient les couleurs pour marquer avec faste le centenaire de naissance de Roumain. Fait rare dans l’histoire nationale, souvent en Haïti on célèbre la mort d’un héros ou d’un homme de lettres. Pourtant, dans d’autres pays on célèbre la vie et non la tragédie. Donc, les célébrations du centenaire marquent une rupture d’avec les pratiques consistant à vénérer les disparus, mais simplement au passé et non au présent.
A l’étranger aussi, le cap a été mis sur Roumain, notamment à Cuba à partir du 19 février, au Canada, en France…et même en république Dominicaine. Dans ce dernier pays, les chefs d’état de l’ile d’Haïti ont pris part à la « grande ceremonia », comme si on oubliait que Roumain fut parmi ceux qui avaient dénoncé à pleins poumons le massacre des 25.000 haïtiens frères en Dominicanie. Cet événement sans précédent arrivait pendant qu’il était en France, cela ne l’avait pas empêché de se positionner, ce qui lui avait valu un procès et de la prison. Ce massacre a été l’œuvre du feu dictateur Leonidas Trujillio en 1937, aujourd’hui encore le massacre se poursuit sous la direction d’un autre président, Leonel Fernandez. Paradoxalement il était présent dans la salle avec la bénédiction du président haïtien, Rene Garcia Préval. Donc, Roumain, même après 100 ans, est resté le grand incompris et l’ultime inconnu. J’ai lu sur le net, un homme qui s’identifie de la même génération que Roumain, dans son allocution de circonstance, a déclaré, en débutant son verbiage, que « Jacques Roumain, fut un mulâtre comme moi ». Cependant, il a omis d’évoquer que Roumain, mulâtre certes, pour répéter les mots de Manno Charlemagne « Roumain, Lespes, Charlier te demaske malpwopte nan klas kote yo te ye… ». Mais lui, poursuit son boulot mulâtriste à Miami comme si Roumain n’avait jamais existé.
Le 9 février 2007, à travers le lancement des festivités commémoratives du centenaire de Roumain, deux amis du leader révolutionnaire avaient fait des déclarations révélatrices concernant l’homme et ses œuvres. Il s’agit de Max Vieux et de Max Sam. Vieux a déclaré et je cite, « (…) Roumain, revenu au pays en 1920, qui nous trouve sous la botte de l’occupation étrangère et c’est lui qui est le premier avait commencé à nous montrer à nous battre contre l’occupant ». D’abord Roumain fut un militant anti impérialiste croyant dans un monde fraternel ou tout n’est pas réduit à l’état de marchandises. L’autre compagnon, Max Sam, à son tour déclarait que Roumain « a montré au peuple haïtien, le chemin de l’honneur et de la dignité ». A cote de ces vaillants compagnons d’armes, il y a aussi des fripons qui exécutaient leurs agendas de récupération.
Des intellectuels haïtiens vantaient toutes les qualités de Jacques Roumain, le qualifiant d’humaniste, de rassembleur, de diplomate, d’humaniste…pour ne citer que ceux-là. Jacques Roumain a été, en définitive, tout ce qu’ils disaient, mais d’abord il s’était formé dans un courant idéologique, il avait subi l’influence d’une pensée politique, qui a engendré chez lui une vision révolutionnaire de l’histoire différente avec l’ordre capitaliste dominant. C’est cette conviction qui avait développé chez lui cet amour de l’homme, l’homme total dans toute sa révérence et dimension, l’homme libre, l’homme magnanime à travers une existence sans palissade.
Le révolutionnaire, n’est-il pas l’humaniste, parfois contraint à utiliser la force comme moyen, mais non comme fin. Car, la société convoitée dépasse les limites de l’égocentrisme et de l’individualisme pour ouvrir un nouveau champ de pensée et d’action ayant pour objectif le bonheur de tout homme et de toute femme. Ainsi, l’enlever de cette ambiance qui faisait de lui ce qu’il fut, n’est rien d’autre qu’une tentative d’aliénation et d’éloignement de sa matrice, les masses populaires. Roumain reste un leader de masses, il a consacré toute sa vie à prôner leur libération totale et à enseigner la théorie indispensable à la matérialisation de ce rêve, qu’est l’unité des exploites. Donc, ceux qui ont prononcé les conférences sur Jacques Roumain, tels que : Professeur Michel Hector, l’intellectuel Lyonel Trouillot, son neveu Claude Roumain…ont tous oublié une chose, « La principale porte d’entrée pour aborder Roumain, c’est le Marxisme ».
Deux célébrations : 1er janvier 2004 (Bicentenaire de l’indépendance d’Haïti) et 4 juin 2007 (Centenaire de naissance de Jacques Roumain). Jacques Roumain, de son vivant, rejetterait la pompeuse célébration de son centième anniversaire, à cause du boycottage du bicentenaire de la république, le premier janvier 2004. Des intellectuels haïtiens, toutes tendances confondues, s’étaient réjouis durant les conférences sur Roumain. Pourtant, ils étaient les mêmes, qui en 2004, n’avaient aucune initiative pour marquer les 200 ans d’histoire d’Haïti.
L’intellectuel haïtien, dans son écrasante majorité, ne fait que mener une guerre-froide contre tout ce qui rappelle ou relate l’univers populaire haïtien. Dans cette guerre totale, les intellectuels, flanqués des autres élites, sont sans état d’âme a l’égard du peuple et son univers culturel et historique. Ainsi, ils ont priorisé un homme sur ce qu’il y a de plus noble dans la vie d’un peuple, la commémoration de deux siècles de son existence. Partout ailleurs, les peuples, quoique exploités, mais toujours considérés comme faisant partie intégrante de la nation. Ils ne lisent pas, ils n’écrivent pas, mais ils alimentent la vie économique, politique et culturelle de la nation. Les paysans haïtiens, analphabètes en grande majorité, représentent une référence dans ce domaine. L’économie et la culture haïtienne, sont portées à bout de bras par ces analphabètes.
Jacques Roumain, l’avait bien compris, et l’a exprimé dans « A propos de la campagne antisuperstitieuse », il a pris position catégoriquement pour la religion nationale. Les autres, ils vénèrent Toussaint Louverture, ils négligent Jean-Jacques Dessalines. Et pourtant, l’haïtien est plus dessalinien que tout autre, il suffit de jeter un bref regard sur l’histoire nationale pour l’admettre. C’est à dire, nous devons nous assumer en tant que peuple, renier ou rejeter notre identité est inutile, tôt ou tard elle va revenir. Nous devons nous accepter avec nos défauts qui font notre faiblesse, et nos qualités qui font notre force. C’est le travail de l’intellectuel, il doit éduquer l’haïtien à aimer sa patrie et ses héros. Donc, prioriser roumain sur l’indépendance nationale est un acte anti national et gratuit. Jacques Roumain, en dépit de ses livres et écrits majestueux, n’est pas plus grand que le père-fondateur de la nation, Jean-Jacques Dessalines. Il n’est pas plus célèbre que les héros de l’indépendance nationale qui avaient accepté le sacrifice ultime.
On a toujours eu ce problème chronique qui paralyse la pensée des penseurs en Haïti, ce mal à définir les priorités, et pourtant une nation fait constamment face à des urgences désagréables. En ce moment, la nécessité de prioriser le primordial s’impose à tous en fonction des intérêts nationaux. Le choix de la célébration du bicentenaire de l’indépendance nationale, vue sa justesse, devrait planner au-dessus de toutes ambitions personnelles ou claniques. Les élites préféraient de sacrifier cet événement majeur au profit d’ambitions personnelles. Ce qui allait conduire à la deuxième occupation du territoire national en moins d’une décennie. Drôle de façon pour des patriotes d’inaugurer le 21e siècle.
Pour soulager leurs consciences non tranquilles, ils pensaient, à travers Jacques Roumain, réparer cette gaffe. En fait, ils ne font que s’embarrasser devant le peuple haïtien, en priorisant la célébration de Roumain sur le bicentenaire de l’indépendance. Il est clair pour tous que les intellectuels haïtiens, dans son écrasante majorité, sont frappés par une cécité de valeurs et de priorités, ce qui les conduit toujours à négliger l’intérêt national au profit de l’étranger/ennemi. L’année 2007 consacré à Jacques Roumain, est l’exemple concret de cette carence de patriotisme qui manque à nos élites. L’hypocrisie des élites pour récupérer Roumain et le prioriser au détriment du bicentenaire de l’indépendance nationale est la dernière goutte qui allait renverser la conscience des progressistes haïtiens. Quelle honte !
Joel Leon
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