Les propos d’Emmanuel Macron sur le Conseil Présidentiel de Transition : la continuité malheureuse d’une tradition diplomatique de mépris et de condescendance envers Haïti

 

Les propos d’Emmanuel Macron sur le Conseil Présidentiel de Transition : la continuité malheureuse d’une tradition diplomatique de mépris et de condescendance envers Haïti

Joseph W. Alliance

Boukan News, 11/21/2024 – Les propos d’Emmanuel Macron sur le Conseil Présidentiel de Transition: la continuité malheureuse d’une tradition diplomatique de mépris et de condescendance envers Haïti

Les récentes déclarations du Président Emmanuel Macron cette semaine, en marge du sommet du G20 à Rio de Janeiro, qualifiant de “cons” les membres du Conseil présidentiel de transition d’Haïti (CPT) après la révocation du Premier ministre Garry Conille, ont suscité une indignation justifiée. Ces propos, condescendants et paternalistes, coïncident étrangement avec le 221ᵉ anniversaire de la bataille de Vertières, un événement que la France a historiquement cherché à minimiser dans son historiographie et à en obscurcir le sens et la portée. Ils révèlent des dynamiques historiques et diplomatiques qui méritent une analyse critique, notamment dans le cadre des relations entre Haïti et les grandes puissances occidentales.
Une souveraineté conquise au prix du sang 
Haïti, première république noire indépendante au monde, a forgé son destin dans les flammes d’une révolution unique dans les annales de l’humanité. Sa souveraineté, acquise au prix d’immenses sacrifices, n’est pas un privilège accordé par d’autres nations, mais un droit inaliénable. Haïti a été un pionnier du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ouvrant la voie à l’autodétermination en Amérique latine et dans le monde. La gestion des affaires internes, y compris les nominations et révocations de ses dirigeants, relève exclusivement de la responsabilité des Haïtiens et de leurs institutions. Remettre en cause cette souveraineté en qualifiant une décision politique interne d’ absurde ou en insultant ses auteurs constitue une atteinte grave à ce droit fondamental. Haïti n’est pas un territoire sous contrôle français, mais une nation indépendante, digne de respect.
Des propos empreints d’arrogance et d’un paternalisme dépassé 
Les commentaires de M. Macron ne sont pas seulement une erreur diplomatique ; ils révèlent une attitude arrogante et paternaliste qui perpétue des dynamiques héritées du colonialisme. Une telle posture reflète une vision selon laquelle les Haïtiens, en tant que peuple, ne seraient pas capables de se gouverner efficacement – une conception dépassée et fondamentalement raciste, souvent utilisée pour justifier des ingérences passées. Ces propos rappellent étrangement le ton du Discours de Dakar du 26 juillet 2007 quand le président français d’alors Nicolas Sarkozy eut à déclarer que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». À travers ce discours, Nicolas Sarkozy, par un ton condescendant, présentait l’homme africain comme figé dans le passé, incapable de progrès ou de modernité sans l’aide de l’Occident. De manière similaire, les propos d’Emmanuel Macron, qualifiant des dirigeants haïtiens de “cons”, participent à ce même récit paternaliste où les anciennes colonies sont systématiquement jugées inaptes à se gouverner.
De plus, il est pertinent de rappeler que M. Macron lui-même, au cours de ses deux mandats, a pris des décisions qui ont suscité des critiques virulentes en France. Des réformes controversées aux tensions sociales et économiques, il a été décrié par beaucoup comme un président déconnecté des réalités quotidiennes des Français, souvent et ironiquement surnommé “Jupiter”. Pourtant, à aucun moment, le gouvernement haïtien ne s’est permis de qualifier ces choix de « stupides » ou de « cons ». Pourquoi Haïti devrait-il être traité avec moins de considération ? Encore une fois, cette attaque verbale rappelle les stéréotypes racistes qui posent l’incapacité supposée des peuples noirs à gérer des États souverains. Ce même discours est actuellement confronté en Afrique, où plusieurs nations, sous le joug de la “Françafrique”, rejettent désormais les influences néocoloniales pour réaffirmer leur autonomie politique, géopolitique, économique et culturelle.
Haïti détruite par les Haïtiens ? Un bilan honnête et équilibré 
Les Haïtiens ont détruit Haïti ? Oui, il est indéniable que les Haïtiens portent une large part de responsabilité dans la situation actuelle du pays. Les crises chroniques dues à des luttes incessantes et intestines pour le pouvoir, l’absence de vision moderne de l’État, et l’incapacité à trouver et respecter des compromis en privilégiant l’intérêt collectif sont autant de facteurs internes qui maintiennent Haïti dans l’instabilité et le sous-développement. Cependant, il serait injuste et malhonnête de ne pas prendre en compte les facteurs externes qui ont également contribué à la situation actuelle. De l’ordonnance de Charles X en 1825, imposant une dette colossale pour reconnaître l’indépendance d’Haïti, à la diplomatie de la canonnière et l’occupation américaine, jusqu’à la tutelle actuelle américano-occidentalo-onusienne, les abus des puissances étrangères envers Haïti sont bien connus et historiquement documentés. Ces ingérences répétées ont entravé la capacité des Haïtiens à construire un État fort et stable. Les chaînes de la dette et l’exploitation économique ont sapé les bases d’un développement durable, tandis que les interventions politiques ont souvent exacerbé les divisions internes au lieu de les résoudre.
Un contexte haïtien complexe et une opportunité pour le Conseil présidentiel jusqu’à présent timide par rapport aux défis de l’heure
La révocation de Garry Conille reflète des tensions internes qui ne peuvent être comprises qu’à travers le prisme de la réalité politique, sociale et sécuritaire du pays. Ces décisions sont influencées par des divergences politiques, et une situation sécuritaire extrêmement tendue. Ces défis ne trouveront de solutions que dans un dialogue et des actions locales, menées par des Haïtiens pour des Haïtiens. Toute ingérence extérieure, même verbale, risque de déstabiliser davantage les efforts en cours. Haïti a besoin d’un partenariat respectueux, et non de leçons ou d’insultes. Cette situation constitue également une occasion pour le Conseil présidentiel de transition de démontrer ses capacités à relever les défis inscrits dans la feuille de route de la transition.
Le Conseil a la responsabilité historique de remettre le pays sur la voie de la stabilité, de la bonne gouvernance et de répondre aux attentes légitimes du peuple haïtien. Pour l’instant, il n’a pas encore envoyé des signaux clairs prouvant qu’il peut être à la hauteur de cette tâche colossale. Le renvoi de Garry Conille tout en lui ouvrant plus de marge politique invite aussi à plus de pression pour délivrer en faveur du peuple haitien. Le CPT aura du mal à trouver un autre bouc émissaire à tort ou à raison pour justifier tout éventuel échec par rapport aux attentes de la transition. Face à de tels défis, la communauté internationale peut jouer un rôle plus constructif au lieu de faire des déclarations à l’emporte-pièce à l’instar du président Macron et qui reflètent une méconnaissance de la réalité haïtienne au fond.
Le respect comme fondement des relations internationales 
Les relations internationales modernes doivent reposer sur une base de respect mutuel. Traiter une nation comme Haïti, qui a surmonté des défis colossaux avec courage, comme une nation à blâmer ou à rabaisser est une erreur morale et stratégique. Chaque État a le droit de prendre des décisions – même controversées – sans être jugé ou insulté par une autre nation. Au lieu de diviser, M. Macron aurait dû adopter une approche constructive, encourageant le dialogue entre les acteurs politiques haïtiens et offrant un soutien respectueux à leurs initiatives internes.
Conclusion : Vers une relation équilibrée et respectueuse 
Il est temps pour la France d’abandonner ad vitam aeternam ses attitudes paternalistes dans ses relations avec Haïti. Ces reliques n’aident pas à cheminer ensemble sur les voies de l’avenir puisqu’elles ravivent les blessures du passé. Ce qui est attendu, ce n’est pas des jugements ou des insultes, mais un partenariat fondé sur le respect de la souveraineté, la reconnaissance de l’histoire commune, et une solidarité véritable et pragmatique. Pour Haïti, cette situation constitue une opportunité cruciale.
La convocation par le CPT ce jeudi 21 Novembre de l’ambassadeur français accrédité en Haïti, M. Antoine Michon, pour apporter des rectifications au sujet des déclarations maladroites de son président,  est une première étape importante. Elle montre qu’ Haïti ne reste pas silencieuse face au mépris et à l’arrogance. Cependant, la nation attend des actions plus substantielles du CPT, non seulement pour défendre la dignité du pays, mais aussi pour répondre aux défis internes et transformer la transition en une opportunité historique de renouveau.
Le peuple haïtien, fort de son histoire et de sa résilience, mérite des dirigeants capables de dépasser les symboles pour agir concrètement en faveur de sa souveraineté, de sa stabilité et de son avenir.
Le Conseil présidentiel de transition doit in fine démontrer qu’il est capable de répondre aux défis immenses de l’heure, de mettre en œuvre les réformes nécessaires et de remettre le pays sur la voie de la stabilité et de la bonne gouvernance. Haïti ne demande pas la charité ni la tutelle : elle exige le respect. À défaut de cela, les paroles maladroites comme celles de M. Macron risquent de fragiliser davantage au lieu d’unir, et de miner la confiance là où elle est plus nécessaire que jamais.
Joseph W. Alliance
Expert en Science Politique et Gestion de Conflits

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