L’échec de La Mission Internationale de Sécurité en Haïti : un Résultat Prévisible
En mémoire du Père Jean-Marie Vincent et de son combat pour une Haïti juste et libre, à l’occasion du trentième anniversaire de son tragique assassinat.
Boukan News, 09/06/2024 – Dans une tournure qui pourrait être tirée d’une tragédie de Shakespeare, le Miami Herald a rapporté le 4 septembre 2024 que les États-Unis envisagent la transformation de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) en Haïti en une opération de maintien de la paix sous l’égide des Nations Unies (Charles & Wilner, 2024). Cette évolution fait suite à plus de deux mois d’opérations des forces de police kényanes en Haïti, principalement financées par les États-Unis, reflétant les difficultés rencontrées par l’administration Biden pour recueillir des contributions volontaires afin de soutenir la mission, qui coûte environ 200 millions de dollars tous les six mois. Même transformée, la mission serait toujours confrontée à d’importants défis.
Absence d’un Plan de Sécurité Robuste
L’échec de la mission kényane en Haïti peut être imputé à divers facteurs, mais l’absence d’un plan de sécurité adéquat semble être le principal. D’après les informations disponibles, la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS), menée par le Kenya sous l’égide du Conseil de Sécurité de l’ONU, visait à soutenir la police haïtienne contre les groupes criminels. L’absence d’un plan de sécurité efficace a mis en lumière une gestion défaillante de la crise sécuritaire. Aucune stratégie explicite n’a été communiquée pour faire face à cette menace complexe.
De plus, la mission a été confrontée à d’importants défis logistiques, y compris une absence critique de soutien aérien et maritime. Ces insuffisances ont sérieusement compromis la capacité de la mission à mener des opérations efficaces sur le terrain. À l’heure actuelle, les progrès en matière de sécurité en Haïti sont restreints. Les gangs contrôlent près de 80 % de la capitale, Port-au-Prince, incluant une importante zone côtière, limitant ainsi l’accès aux ports essentiels du pays. Des dizaines de milliers de familles déplacées peinent à regagner leurs foyers, alors que la libre circulation des personnes et des biens reste un défi majeur.
Ces barrières, symptômes d’une planification insuffisante, ont entravé le déploiement efficace de la mission kényane, soulignant la complexité des opérations de sécurité dans des environnements politiques et sociaux aussi ardus que ceux d’Haïti.
Inadéquation avec la Réalité du Terrain
En outre, l’échec de la Mission Internationale de Sécurité en Haïti reflète les défis inhérents aux interventions internationales dans des contextes de crise profonde. La situation en Haïti, marquée par une violence endémique et des crises politiques récurrentes, a régulièrement attiré l’attention et suscité l’intervention de la communauté internationale. Cependant, les résultats de ces missions ont fréquemment contourné le problème, mettant en évidence la complexité de stabiliser un pays aux structures étatiques précaires et aux dynamiques sociales et politiques hautement instables. En effet, Les missions de sécurité internationales peinent à s’adapter à une réalité complexe où des facteurs locaux, tels que la puissance des gangs et la fragilité institutionnelle, compliquent leur mission. De plus, l’harmonisation des objectifs internationaux avec les besoins et aspirations de la population haïtienne demeure un défi persistant, souvent aggravé par des perceptions d’ingérence ou de déficit de légitimité. Dans ce contexte, les missions de sécurité n’ont été que des solutions temporaires, incapables de s’attaquer aux racines profondes des problèmes qui affligent Haïti.
En résumé, la communauté internationale a essayé de régler les problèmes socio-économiques urgents d’Haïti à travers des interventions militaires répétées. La crise actuelle prouve, s’il en était besoin, que les stratégies militaires ou policières ne sont pas suffisantes pour établir des solutions politiques pérennes en Haïti. L’avenir d’Haïti repose sur des stratégies à long terme qui considèrent la complexité de ses défis et qui sont conçues en collaboration étroite avec les acteurs de la société. Une telle démarche nécessite une vision holistique qui intègre le développement économique, la réforme des institutions, la décentralisation et la participation citoyenne.
Absence de Légitimité
L’échec de la Mission Internationale de Sécurité en Haïti peut également être attribué à son manque de légitimité auprès des Haïtiens. Les résultats limités des précédentes missions onusiennes en Haïti ont semé le doute chez de nombreux Haïtiens sur l’utilité et la justification de ces interventions. Souvent, elles ont engendré des traumatismes profonds dans la psyché nationale qui restent encore à cicatriser.
À cet égard, deux épisodes particuliers méritent d’être soulignés. Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti a provoqué une grande vague de solidarité à l’échelle mondiale. L’aide internationale pour la reconstruction après le séisme a atteint les 15 milliards de dollars. Toutefois, l’impact de la reconstruction a été limité, l’assistance ayant surtout bénéficié aux entreprises privées des pays donateurs (Chartrand, 2020). De façon similaire, en octobre 2010, soit dix mois après, une mission de l’ONU en Haïti a été à l’origine d’une épidémie de choléra, entraînant près de 10 000 décès et affectant 800 000 personnes. Un épidémiologiste a rapporté qu’entre 2010 et 2012, le nombre de cas de choléra en Haïti a dépassé celui de l’ensemble de l’Afrique. Cependant, pendant six ans, les Nations Unies ont refusé d’admettre toute responsabilité, même si le génome de la souche bactérienne incriminée a été relié à un bataillon népalais de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti, connue sous l’acronyme MINUSTAH (Rahmouni, Baron, & Bradol, 2024).
Au déficit de légitimité de la mission kényane s’ajoute celui des autorités haïtiennes. Le Conseil présidentiel de transition et le gouvernement sont confrontés à une grave crise de légitimité, principalement exacerbée par leur incapacité à gouverner efficacement. Malgré une meilleure compréhension des enjeux locaux, les dirigeants haïtiens peinent à élaborer et mettre en œuvre des solutions efficaces. Cette incapacité entrave leur aptitude à pallier le manque de légitimité de leurs tuteurs internationaux. La situation en Haïti met en évidence le besoin crucial d’un leadership solide et d’une gouvernance efficace pour satisfaire les besoins des citoyens et avancer vers la stabilité et le développement.
Ces situations expliquent le manque d’enthousiasme à Port-au-Prince et dans le reste du pays pour les missions de maintien de la paix des Nations Unies. Des générations d’Haïtiens ont subi les conséquences de l’inefficacité et de l’irresponsabilité de ces missions, souvent au prix de leurs vies et toujours au détriment de la stabilité et du progrès social.
L’échec de la mission kényane illustre, donc, les difficultés à rétablir l’ordre en Haïti rapidement. Cela souligne dramatiquement le besoin d’une compréhension profonde du contexte haïtien et d’une stratégie globale qui dépasse la simple intervention militaire ou policière. Les lacunes de l’ONU en Haïti rendent sa quête de paix et de stabilité illusoire. Les forces patriotiques et progressistes haïtiennes doivent s’unir et mobiliser leur esprit pour élaborer des solutions efficaces aux problèmes complexes et diversifiés de leur pays, Haïti, pionnière dans la lutte contre la domination coloniale et pour la liberté.
Alain Zéphyr, Sociologue
Membre de la Coordination du Renouveau Démocratique
References
Charles , J., & Wilner, M. (2024, September 4). U.S. seeks to turn Kenya mission in Haiti into U.N. peacekeeping operation. Miami Herald. Retrieved from https://www.miamiherald.com/news/nation-world/world/americas/haiti/article291905150.html
Chartrand, L. (2020, Janvier 10). Dix ans après le séisme en Haïti, à quoi l’argent a-t-il servi? Retrieved from Radio Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1464873/seisme-haiti-argent-international-reconstruction-chartrand
Rahmouni, E., Baron, E., & Bradol, J.-H. (2024, Mars 19). L’origine de l’épidémie de choléra à Haïti en 2010. Alternatives Humanitaires(Numéro 25 ). Retrieved from https://www.alternatives-humanitaires.org/fr/2024/03/19/lorigine-de-lepidemie-de-cholera-a-haiti-en-2010/