Le prix de la liberté : une dette déjà payée, une mémoire à défendre

Boukan News, 04/21/2025 – Deux siècles après l’imposition de la rançon de 1825, la France propose à Haïti une nouvelle commission d’historiens pour « examiner notre passé commun ». Mais pour nous, Haïtiens, cette démarche n’est qu’un énième détour pour enterrer la mémoire vive de notre peuple sous des rapports diplomatiques. Le prix de la liberté, nous l’avons payé en sang. La France feint d’ignorer que d’autres nations ont obtenu réparation pour des crimes similaires: l’Allemagne a reconnu 1,1 milliard d’euros à la Namibie pour son génocide, tandis que les Pays-Bas ont créé un fonds de 200 millions après leurs excuses pour l’esclavage. Pourquoi Haïti devrait-elle se contenter de mots?
La liberté conquise, la dignité bafouée
En 1803, nous avons arraché notre indépendance à la puissance coloniale la plus redoutable de l’époque. Pourtant, en 1825, sous la menace des canons français, nous fûmes contraints de payer 150 millions de francs-or pour la simple « reconnaissance » de cette liberté. Cette somme, équivalente à près de 115 milliards de dollars aujourd’hui, fut extorquée par la force – un chantage historique que même l’Algérie des accords d’Évian n’a pas subi à ce degré. Cette rançon a sciemment ruiné notre économie naissante et installé Haïti dans une dépendance dont nous ne nous sommes jamais relevés.
Une commission pour étouffer la vérité
La France propose un « travail de mémoire », mais refuse obstinément toute discussion sur les réparations. Pendant ce temps, la Commission de réparation des Caraïbes de la CARICOM tente d’unir les peuples de la Caraïbe pour exiger justice, et l’Algérie brandit le rapport Stora pour rappeler les dettes coloniales. Haïti mérite plus qu’une place isolée dans ce combat. Nous devons exiger une réponse collective, comme le firent les victimes de la Shoah ou les peuples africains spoliés de leurs œuvres d’art. Les archives sont pourtant claires : cette dette fut illégale dès l’origine. À quoi bon des historiens quand les bourreaux reconnaissent eux-mêmes le crime?
Le prix de la liberté ne se négocie pas
Notre liberté ne fut pas un don, mais une conquête trempée dans le sang de Vertières. La rançon de 1825 fut un crime économique calculé, comparable aux pillages infligés au Congo belge ou à l’Inde britannique – mais avec une différence cruciale : Haïti fut punie pour avoir osé vaincre. La France doit cesser de se cacher derrière des commissions et assumer ses responsabilités, comme elle l’a fait partiellement en restituant les biens culturels au Bénin. Pourquoi nos vies comptent-elles moins que des statues?
Justice, pas de charité mémorielle
Nous refusons d’être les cobayes d’une réconciliation à sens unique. L’alliance naturelle entre Haïti, les Caraïbes via la CARICOM, et l’Algérie pourrait forcer la France à une table des réparations. Les précédents juridiques existent : en 2013, la Cour caribéenne a reconnu la validité des demandes de réparations pour l’esclavage. Utilisons-les ! La restitution n’est pas une aumône, mais le remboursement d’un vol organisé – avec intérêts.
L’heure des comptes a sonné
Assez de rapports poussiéreux. L’histoire nous montre que seules les coalitions transnationales obtiennent justice: voyez comment les survivants de l’Holocauste ont forcé l’Allemagne à payer. Haïti ne mendie pas, elle exige ce qui lui fut volé. Le prix de notre liberté ne se discute pas dans des commissions: il se restitue, il se répare. Et pour cela, nous unirons nos voix à celles de tous les peuples que la France a cru pouvoir oublier.
Yves Pierre, Citoyen engagé