La réforme du secteur de la sécurité en Haïti : une urgence face à la réalité sur le terrain

La réforme du secteur de la sécurité en Haïti : une urgence face à la réalité sur le terrain

Yves Pierre

Boukan News, 08/26/2024 – Haïti se trouve aujourd’hui dans une spirale de violence sans précédent. Malgré les annonces gouvernementales et les mesures d’urgence, la situation sécuritaire continue de se détériorer, soulignant l’urgence d’une réforme profonde du secteur de la sécurité.

Un pays sous l’emprise croissante de la violence

Les statistiques récentes sont alarmantes : plus de 10 000 personnes ont perdu la vie dans des violences liées aux gangs ces trois dernières années. Rien que pour le premier semestre de 2024, 3 759 individus ont été tués ou blessés. Ces violences affectent toutes les strates de la société : 77 % des victimes sont des hommes, 20 % des femmes et 3 % des enfants. Depuis 2023, plus de 600 000 personnes ont été déplacées, dont plus de la moitié sont des enfants.

Face à cette situation critique, le gouvernement a proclamé l’état d’urgence le 17 juillet 2024 dans quatorze communes sous contrôle de gangs, une mesure qui a été renouvelée et élargie un mois après. Cependant, malgré ces déclarations, près de 80% de la région métropolitaine de la capitale reste sous le contrôle des gangs, illustrant l’écart entre les annonces officielles et la situation réelle.

Des institutions de sécurité dépassées

La Police Nationale d’Haïti (PNH), avec seulement 14 087 agents pour une population de 12 millions d’habitants, est considérablement sous-équipée et manque d’efficacité. Le système judiciaire, entravé par la corruption et la politisation, lutte pour fonctionner correctement. Les tribunaux subissent des attaques fréquentes, les archives sont détruites, et dans les prisons bondées, la plupart des détenus n’ont pas encore été jugés. Les attaques récentes contre des postes de police, tels que ceux de Gantier et Gressier, mettent en évidence la vulnérabilité continue des forces de sécurité.

L’impact dévastateur sur la vie quotidienne

D’après le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), plus de trois millions d’individus sont confrontés à une augmentation des besoins humanitaires. L’accès aux ressources essentielles est restreint, voire inexistant. La santé mentale des habitants est sérieusement compromise, et l’éducation des enfants est négligée, compromettant ainsi l’avenir de la nation.

Une réponse gouvernementale en quête d’efficacité

Le gouvernement a dévoilé un ensemble de mesures, y compris des opérations conjointes impliquant la Police Nationale d’Haïti (PNH), les Forces Armées d’Haïti (FAd’H) et la Mission Multinationale menée par le Kenya. L’arrivée de renforts policiers kényans est considérée comme un point de bascule. De plus, des efforts concrets sont en cours pour renforcer les capacités matérielles des forces de sécurité :

– Livraison de nouveaux véhicules blindés par les États-Unis, notamment 24 véhicules MaxxPro MRAP supplémentaires.

– Commande d’équipements et de munitions supplémentaires pour la PNH et les FAd’H auprès des Émirats Arabes Unis.

– Installation de tourelles sur les véhicules blindés pour améliorer leur efficacité au combat.

Cependant, l’efficacité de ces mesures sur le terrain semble être restreinte. Les autorités ont mentionné des mesures exceptionnelles telles que la fermeture de lieux, l’évacuation de personnes et la mise en place éventuelle de couvre-feu. Toutefois, ces annonces paraissent plus être une stratégie de communication qu’une série d’actions concrètes susceptibles de diminuer de manière significative l’insécurité.

Le besoin urgent d’une réforme globale et efficace

Face à l’écart flagrant entre les déclarations officielles et la réalité vécue par les Haïtiens, une réforme en profondeur du secteur de la sécurité s’impose plus que jamais. Cette réforme doit aller au-delà des simples annonces et des mesures d’urgence temporaires. Elle nécessite :

  1. Un renforcement réel et pérenne des capacités de la Police Nationale d’Haïti (PNH)
  2. Une réforme judiciaire efficace qui combat la corruption et l’impunité
  3. L’établissement d’un service de renseignement efficace
  4. La mise en œuvre d’un contrôle démocratique rigoureux et effectif sur tout le secteur de la sécurité

En outre, il est essentiel que cette réforme cible les fondements socio-économiques de l’insécurité. Des efforts dans ce sens sont déjà en cours, comme en témoigne la collaboration entre la PNH et le Programme de Sécurité de la Citoyenneté Haïtienne (HCSP), qui vise à renforcer les liens entre la police et la population, et à offrir des alternatives aux jeunes pour éviter qu’ils ne rejoignent les gangs.

Un défi de taille, une opportunité à saisir

La réforme du secteur de la sécurité en Haïti représente un immense défi, tout en offrant une occasion inédite de refonder le contrat social du pays. La réussite de cette entreprise dépend d’une collaboration soutenue entre les autorités haïtiennes, les acteurs internationaux et la société civile. Il est essentiel que les communautés locales et les spécialistes haïtiens soient impliqués dans l’élaboration et l’exécution de cette réforme.

Le récent déplacement du Premier Ministre Garry Conille dans le Nord d’Haïti, accompagné de représentants de la communauté internationale, illustre cette volonté de dialogue et de collaboration. La présentation d’une feuille de route gouvernementale axée sur la résolution de la crise sécuritaire, le renforcement de la justice, le relèvement économique et l’organisation d’élections est un pas dans la bonne direction.

Conclusion

La situation en Haïti met en évidence le risque de se reposer uniquement sur des annonces spectaculaires en réponse à une grave crise de sécurité. Une réforme authentique du secteur de la sécurité doit aller au-delà de simples opérations isolées ou de déclarations dans les médias. Elle nécessite un engagement durable, des initiatives tangibles et quantifiables, ainsi qu’une réelle volonté politique de réformer en profondeur les institutions de sécurité nationales.

Il est temps qu’Haïti prenne son destin en main. La communauté internationale peut et doit offrir son soutien, comme en témoigne le soutien réaffirmé lors de la récente visite du Premier Ministre dans le Nord, mais l’élan véritable du changement doit émaner de l’intérieur du pays. Seule une démarche audacieuse, enracinée dans les réalités du pays et soutenue par une détermination politique ferme, peut tracer le chemin vers un futur où chaque Haïtien vivra dans la dignité et la sécurité.

Le temps est compté. Chaque jour écoulé sans mesures concrètes et efficaces plonge davantage le pays dans le désordre. L’effondrement total de l’État n’est pas une option envisageable. Il est impératif que les autorités haïtiennes se mobilisent, avec l’appui coordonné de la communauté internationale, pour garantir enfin la sécurité et la stabilité que le peuple haïtien exige depuis trop longtemps.

Yves Pierre, citoyen engagé

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