La rareté des mangues francisques aux Etats-Unis, un symbole de l’aggravation de la crise haïtienne
Boukan News, 07/31/2023 – Cet été, les mangues Francisque ont disparu des étagères des supermarchés étasuniens, au grand dam des consommateurs haïtiens et étrangers.
Cette variété de mangue haïtienne est prisée, autant par les connaisseurs que par les amoureux de fruits tropicaux, pour son parfum intense, sa délicieuse saveur et sa particulière texture (la mangue Francisque est généralement de couleur jaune d’or). Elle est dite aussi charnue, pauvre en fibres et surtout juteuse. Consommée généralement aux Etats-Unis par les caraïbéens, les latinos, et les Haïtiens, elle représente pour ces derniers un motif de fierté et un véritable emblème culturel.
La mangue Francisque reste l’un des rares produits en provenance d’Haiti écoulés sur le marché américain. A ce titre, elle relie les consommateurs de la diaspora à leur terre d’origine tout en fortifiant leur identité.
Malheureusement, depuis quelque temps, la mangue Francisque est presque introuvable sur le marché américain, une situation qui est tout à fait préjudiciable, et ceci à plusieurs niveaux à la communauté haïtienne implantée aux Etats-Unis d’Amérique du Nord. Pourtant, ladite rareté résulte d’une décision du Département de l’Agriculture des États-Unis, datée du 24 octobre 2022, interdisant l’exportation de mangues haïtiennes vers leur territoire, sous prétexte de l’aggravation de l’insécurité en Haïti, laquelle empêcheraient ses inspecteurs de réaliser leur travail.
Le gouvernent américain ne cesse de promettre aux autorités haïtiennes son appui pour lutter contre la montée des gangs armés et ramener la sécurité dans le pays, mais leurs actions ne s’accordent pas avec leurs paroles.
La Mangue Francisque occupe une place importante dans la production nationale. Le pays exporte plus de 3 millions de caisses par année pour une valeur de 20 millions de dollars (Association Nationale des Exportateurs de Mangues). La filière de la mangue emploie annuellement plus de 300.000 personnes, selon les données du ministère de L’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural. L’une des retombées immédiates de la mesure américaine serait de creuser le déficit de la balance commerciale haïtienne et d’accélérer la chute vertigineuse de la gourde face au dollar américain qui s’achète, aujourd’hui, à 137.54 gourdes. Il semblerait que nos soi-disant amis visent à transformer Haïti, l’ama mater de liberté, en un laboratoire de misère humaine !
La décision américaine relative à la cessation de l’importation des mangues Francisque prolonge au niveau économique l‘asphyxie du pays par les gangs armés. Elle remet en mémoire l’embargo commercial de 1991, mis en place sous prétexte de contrecarrer le putsch militaire d’alors et l’action des paramilitaires du FRAPH (Front pour l’Avancement et le Progrès Haïtien), mais qui a largement pavé la voie à l’adoption subséquente de mesures néolibérales, lesquelles ont aggravé la situation socio-économique du pays
Aujourd’hui, un nouveau cercle vicieux se dessine. N’est-on pas en train d’envenimer une situation déjà gravissime en Haïti, ou mieux, d’y provoquer un cataclysme pour sauver un système inique qui n’a produit que l’instabilité et la misère pour la grande majorité du peuple haïtien ? Comme en 1991, le producteur agricole haïtien se trouve écartelé entre la violence des gangs, l’appétit inassouvissable des vautours capitalistes et l’irresponsabilité de nos dirigeants, défenseurs irréductibles du statu quo et maîtres dans l’art de tourner en rond. Cette situation est la preuve, s’il en est besoin, qu’en Haïti, les pays dits amis, particulièrement les États-Unis, font partie du problème, non pas de la solution. Elle remet aussi en évidence la nécessité d’une nouvelle façon de penser et d’agir, fondée sur la recherche de la paix et de la coexistence harmonieuse, dans les relations qu’entretiennent les Etats-Unis avec ses voisins. Inopportunément, la montée de l’extrémisme identitaire et xénophobe, au cœur même de l’empire, en demeure la seule réponse.
Le Renouveau Démocratique dont le pays a besoin pour le tirer de l’ornière se situe à contrecourant de ces jeux politiques à somme nulle pour le pays. Il est porteur de réformes dans tous les domaines de l’infrastructure économique et sociale qui puissent garantir la sécurité, la justice sociale et le bien- être collectif. Après des décades de stagnation, la place est actuellement à ceux qui peuvent oser, créer et inventer une Ayiti libre, juste et plus démocratique., bref une AYITI ANPENPAN 2068. Pour y arriver, un effort particulier d’articulation de toutes les forces progressistes du pays devient un impératif catégorique.
Alain Zéphyr
Sociologue, BSN RN