La Diplomatie Haytienne : Hier et aujourd’hui, entre aide, lutte et libération

La Diplomatie Haytienne : Hier et aujourd’hui, entre aide, lutte et libération

 

Jean Rathon Gelin

Boukan News, 10/22/2024 – L’histoire diplomatique d’Hayti est marquée par des efforts constants pour préserver sa souveraineté, promouvoir ses intérêts et influencer le contexte international malgré les nombreuses adversités. Depuis Toussaint Louverture jusqu’à aujourd’hui, la diplomatie Haytienne a joué un rôle central dans la construction et la défense de la nation. Voici, humblement, une perspective sur son utilité à travers les siècles.

  1. Le général Toussaint Louverture et la diplomatie pré-indépendance

Bien avant l’indépendance nationale, Toussaint Louverture, figure clé de la révolution Haytienne, s’est engagé dans des négociations diplomatiques avec la France, l’Espagne, et la Grande-Bretagne. Conscient de l’importance de la diplomatie, il a jonglé entre ces puissances pour maintenir un équilibre en faveur des esclaves insurgés tout en renforçant son contrôle sur la colonie Saint-Domingue, la future République d’Hayti. Sa diplomatie pragmatique permit de maintenir une certaine autonomie locale tout en évitant des confrontations directes avec les grandes puissances.

  1. La déclaration d’indépendance de 1804

L’indépendance d’Hayti a constitué un acte diplomatique révolutionnaire en soi. En proclamant l’indépendance, Jean-Jacques Dessalines, successeur de Louverture, fit face à l’hostilité des grandes puissances, notamment la France et les États-Unis, qui refusaient de reconnaître un État fondé par d’anciens esclaves. Hayti entra ainsi dans une lutte diplomatique pour légitimer son existence sur la scène internationale.

  1. Le poids de l’isolement international 

Après 1804, Hayti se retrouva isolée sur le plan diplomatique. Les États esclavagistes voisins, notamment les États-Unis, craignaient que l’exemple Haytien inspire des rébellions. La France, quant à elle, imposa un lourd embargo avant de reconnaître Hayti en 1825, à la condition d’un paiement de réparations exorbitantes. Cet isolement a non seulement affaibli l’économie Haytienne mais a aussi forcé les dirigeants Haytiens à développer une diplomatie astucieuse pour protéger la jeune nation.

  1. La tardive reconnaissance américaine 

Ce n’est qu’en 1862, sous la présidence d’Abraham Lincoln, que les États-Unis reconnurent enfin Hayti comme État indépendant. Cette reconnaissance marqua une victoire diplomatique majeure pour Hayti, car elle ouvrait des possibilités de relations économiques et politiques avec l’une des puissances montantes du monde. Hayti poursuivit alors des efforts diplomatiques pour consolider ses relations avec les autres nations américaines et européennes.

5.La diplomatie sous Boyer et l’expansion en République dominicaine 

Sous la présidence de Jean-Pierre Boyer, Hayti chercha à étendre son influence sur l’île entière en annexant l’ancienne colonie espagnole, aujourd’hui la République dominicaine. Boyer tenta de stabiliser l’île et de créer un État uni, mais cette expansion territoriale suscita des tensions internes et internationales, posant des défis diplomatiques majeurs avec les anciennes puissances coloniales.

6.La diplomatie anti-esclavagiste de Soulouque 

L’empereur Faustin Soulouque (1847-1859) poursuivit une politique diplomatique de soutien aux mouvements anti-esclavagistes dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. Hayti se positionnait alors comme un défenseur des peuples opprimés, en particulier des descendants d’Africains. Cette diplomatie anti-esclavagiste fit d’Hayti un modèle de résistance dans la région, renforçant son rôle dans les luttes d’émancipation.

  1. Le rôle d’Hayti dans la lutte pour la liberté de Cuba 

Hayti joua un rôle clé dans le soutien aux mouvements indépendantistes cubains à la fin du XIXe siècle. Des leaders comme José Martí trouvèrent refuge à Hayti et reçurent une aide pour organiser la résistance contre le régime espagnol. Cette assistance diplomatique et matérielle renforça la position d’Hayti comme acteur influent dans les luttes pour la liberté dans les Amériques. 

  1. L’occupation américaine et la résistance diplomatique  

L’occupation américaine d’Hayti de 1915 à 1934 mit en lumière les défis diplomatiques face aux interventions étrangères. Durant cette période, des diplomates et leaders haïtiens, comme Dantès Bellegarde, firent campagne à l’international pour dénoncer l’occupation, en insistant sur le droit à l’autodétermination. Cette résistance diplomatique contribua à forger une conscience nationale contre les ingérences extérieures.  

  1. La période de l’entre-deux-guerres et la présence d’Hayti à la SDN

Durant une bonne partie de la période de l’entre-deux-guerres (1918-1939) et au moment de la montée et la domination du fascisme dans le monde, Hayti était représentée en France par le général Alfred Nemours Auguste. Il fut délégué en plusieurs occasions à la SDN, à Genève, notamment en 1936. Date coïncidant avec l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie de Benito Mussolini (1935-1936). Alors, la diplomatie Haytienne, si représentative, laissa une expression fondamentale à la diplomatie mondiale : « Créez d’être un jour l’Ethiopie de quelqu’un. »

  1. L’après-guerre et les alliances avec les nouvelles nations africaines

Après la Seconde Guerre mondiale, Hayti joua un rôle diplomatique important au sein des Nations Unies et des mouvements de décolonisation. Sous le président Dumarsais Estimé, Hayti tissa des liens avec les nations africaines en quête d’indépendance, affirmant une solidarité entre les pays noirs et promouvant une diplomatie de justice et de liberté pour tous les peuples colonisés.

  1. La République d’Hayti et l’OEA

En 1948, Hayti devint membre fondateur de l’Organisation des États américains (OEA), ce qui lui permit de renforcer ses relations avec les pays du continent américain. Hayti utilisa cette plate-forme pour plaider pour la non-intervention dans les affaires internes des États, tout en promouvant les droits de l’homme et la démocratie dans la région.

  1. La diplomatie sous les Duvalier 

Sous François Duvalier et son fils Jean-Claude, la diplomatie Haytienne prit une tournure plus pragmatique et parfois controversée. Pour assurer la survie du régime, Duvalier se rapprocha des États-Unis en pleine Guerre froide, tout en développant des relations avec des États africains et des pays du bloc de l’Est. Cette diplomatie basée sur la realpolitik permit à Hayti de recevoir un soutien extérieur malgré les critiques sur les violations des droits humains.

  1. L’ère post-Duvalier et la quête de normalisation internationale  

Après la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986, Hayti chercha à normaliser ses relations internationales et à restaurer sa crédibilité diplomatique. Les présidents post-Duvalier, notamment Jean-Bertrand Aristide et René Préval, s’efforcèrent de renforcer les partenariats internationaux et d’attirer des investissements étrangers pour relancer l’économie tout en consolidant la démocratie naissante.

  1. Les crises politiques récurrentes et la diplomatie régionale 

Les crises politiques qui ont marqué Hayti depuis les années 1990 ont souvent nécessité des interventions diplomatiques régionales. L’Organisation des États américains et la Communauté des Caraïbes (CARICOM) ont joué un rôle clé dans les tentatives de médiation pour stabiliser le pays, illustrant l’importance de la diplomatie Haytienne pour résoudre des crises internes.

  1. Les relations avec les Nations Unies et l’aide internationale 

Hayti est devenu le plus grand bénéficiaire d’assistance internationale dans les Caraïbes, avec la présence des Nations Unies et à travers des missions de maintien de la paix depuis 2004. Cette collaboration diplomatique avec l’ONU a été cruciale pour assurer un certain niveau de sécurité et de stabilité, bien que des critiques aient émergé concernant l’efficacité de cette aide.

  1. L’avenir de la diplomatie Haytienne  

Aujourd’hui, la diplomatie Haytienne doit relever le défi de redéfinir l’image du pays et de renforcer sa position sur la scène internationale. La récente initiative de la création de l’Académie Diplomatique Jean-Price Mars témoigne de la volonté de former une nouvelle génération de diplomates capables de défendre les intérêts d’Hayti dans un monde de plus en plus globalisé, tout en renouant avec les idéaux de liberté, de justice, et de souveraineté qui ont marqué l’histoire diplomatique du pays depuis Toussaint Louverture.

Toutes considérations faites, la diplomatie Haytienne, de ses débuts révolutionnaires jusqu’à nos jours, s’est avérée être un outil indispensable pour la survie, la souveraineté et le développement d’Hayti dans un monde en constante évolution.

Jean Rathon Gelin Dominicanologue, Diplomate de formation et Spécialiste en histoires caribéenne et latino-américaine

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