Aux yeux de ses partisans, Jovenel Moïse est un héro qui se lançait à corps perdu dans un combat contre un groupe de gens qu’il qualifiait lui-même d’oligarques dans ses diatribes. Démagogue ou non, il parvenait à manier ce discours avec une certaine dextérité en exploitant un sentiment anti- mulâtre, larvé dans les esprits de nombreux Haïtiens pour des raisons historiques que nous connaissons tous. Pour la majorité de la population, en revanche, le président représentait lui-même un prototype parfait de cette oligarchie qu’il se plaisait tant à dénoncer à cor et à cri. Parachuté à la première magistrature de l’État, l’ancien chef d’État dirigeait le pays sans aucune forme de déontologie qui pourrait prévenir les dérives. Pire encore, sa propension dictatoriale l’amenait à démantibuler ce qu’il en restait de nos institutions étatiques. À l’instar d’un tyran, il n’en faisait qu’à sa guise.
Manifestation anti Jovenel Moise, ex-president.
Rejeté par la quasi totalité de la population et aliéné par la plateforme politique qui l’avait catapulté au pouvoir, ce président solitaire fut assassiné comme un vulgaire truand, dans l’intimité de sa résidence, ce fameux 7 Juillet écoulé. Mais, plus d’un mois après, cet assassinat constitue toujours un puzzle difficile à résoudre, en raison de nombreuses pièces manquantes et d’autres ramifications. Mais au fur et à mesure que de nouvelles révélations se précisent, on y voit une certaine clairière qui permet de percer le mystère. La révélation la plus choquante venait d’un rapport qui laisse entendre que monsieur Moïse dissimulait plusieurs millions de dollars chez lui. Des estimations font croire que cette somme se chiffrerait même à plus de 45 millions de dollars !
Ce qui vient ajouter de l’eau au moulin de ceux qui le suspectaient d’être trempé jusqu’au cou dans des activités louches.
Sinon, comment expliquer qu’un homme issu d’un milieu défavorisé, n’étant, à ce que je sache, dépositaire d’aucune héritance que lui auraient léguée ses parents, sans qu’il ait été, de surcroit, connu comme un homme d’affaires accompli, puisse amasser tant de richesses pendant un seul quinquennat?
S’il avait tout ça dans sa tirelire, combien possédait-il dans les coffres bancaires des paradis fiscaux?
Certains pourraient peut-être objecter que ça ne casse pas trois pattes à un canard que de trouver de l’argent liquide chez un président, c’est vrai ! Mais la dernière fois qu’on a trouvé de l’argent chez d’autres présidents, il s’agissait de deux dictateurs féroces de la trempe d’un Ben Ali pour la Tunisie et Omar Al Bachir pour le Soudan.
Et là encore le montant n’a pas été aussi colossal que la somme trouvée chez monsieur Moïse.
Haïti est un pays où l’on tente toujours de tout expliquer par la pensée non-cartésienne. Nous prenant pour le dindon de la farce, on nous fait avaler toutes sortes de salades. Par exemple, les défenseurs de première heure du régime sont déjà à pied d’œuvre pour justifier la provenance de cette fortune. L’un d’eux est son ancien conseiller,
Guicahrd Dore (photo: www.tripfoumi.com)
Guichard Doré, qui affirme que Jovenel avait déjà rejoint le rang des millionnaires avant même de se lancer dans l’arène politique. Ma question pour ce type est la suivante : si le président était aussi riche tel qu’il le prétend, pourquoi aurait-il besoin de recourir à l’usage de faux pour emprunter de l’argent pour son projet bidon de bananeraies?
En clair, le président était un fieffé coquin qui se livrait aux quatre cents coups pour s’enrichir. Mais, si vous voulez mon avis, tout cet argent ne provient pas seulement des maigres ressources de l’État qu’il a taries en un rien de temps. La source de cette somme faramineuse, on doit la chercher ailleurs. Ce qui nous amène tout droit vers le trafic illicite. Ne soyez pas à cheval pour rejeter cet argument, car il y a d’autres occurrences où des chefs d’État d’autres pays étaient sinon directement impliqués tout au moins soupçonnés dans le trafic de la drogue. Cela a été le cas pour Noriega et Ernesto Samper, respectivement anciens présidents du Panama et de la Colombie.
Cela dit, dispose-t-on de preuves tangibles que monsieur Jovenel soit mêlé dans le trafic des stupéfiants? Non, mais ce n’est pas parce qu’on ne peut pas prouver quelque chose qui lui enlève tout crédit. Dans le jargon juridique, il y a ce qu’on appelle des preuves circonstancielles. Loin de pouvoir établir que le crime a été bel et bien commis par l’accusé, on fait plutôt le rapprochement ou le lien entre le crime et l’accusé.
Une preuve circonstancielle que nous pouvons évoquer est lorsque la DEA avait mis la main au collet du chauffeur du président. La DEA se bat contre le trafic de la drogue. Ce qui revient à dire que le cas de ce chenapan n’est pas un cas isolé. Car, on ne parle pas ici d’un petit larcineur qui traîne dans les rues. Pour que la DEA soit à vos trousses, faut-il bien que vous soyez une grosse pointure qui vaille son pesant d’or. Il est quasiment impossible que Jovenel Moïse ne fut pas au courant que son chauffeur était un “drug dealer”. On comprend maintenant ce qui pousse certains à émettre l’hypothèse selon laquelle l’exécution du président serait le résultat d’un deal qui aurait mal tourné. Une sorte de rétribution pour un butin qu’il ne voulait garder que pour lui seul comme la part du lion.
Cet assassinat était trop bien orchestré et sophistiqué pour être l’oeuvre de quelques amateurs haïtiens. C’est embarrassant, mais il faut se résoudre à accepter le fait que cette équipe au pouvoir n’était pas du tout catholique en ce qui a trait au respect des critères moraux qui régissent d’autres pays.
Photo:secure.projecthope.org
A bien remarquer que les États-Unis gardent un profil très bas par rapport à ce drame. Leur désenchantement est patent. Et rien ne dit qu’ils n’ont pas été au courant du plan de l’assassinat. Cela étonnerait plutôt qu’ils ne l’aient pas été, vu les nombreux canaux de communication dont dispose leur ambassade dans le pays. Mais bon, Jovenel représentait une sorte de caillou dans leur chaussure. Donc, Biden, de peur de se brouiller avec la communauté des afro-américains de son pays—- avec qui il entretient des rapports privilégiés— ne voulait pas prendre le risque d’humilier le président de la première république noire au monde, tel qu’ils l’avaient fait par le passé pour Noriega. Ils ont peut-être choisi l’option de fermer les yeux sur son exécution
La grande ironie est que les partisans de de Jovenel qui n’avaient pas osé froncer les sourcils quand ce dernier annihilait le principe du droit dans le pays, sont ceux-là qui s’érigent aujourd’hui en chantre de la justice. À grand renfort, ils la réclament pour leur champion. Ils font ça comme s’il y avait interruption dans la continuité de la politique que menait le président lorsqu’il était encore en vie. Autant qu’on aimerait que la lumière jaillisse dans cette affaire, on doit toutefois rappeler à ces gens qu’il n’y a pas eu de transition à la mort de Jovenel. On est passé du bonnet blanc au blanc bonnet. Le pays gémit toujours sous la coupe d’un gouvernement monocéphale dirigé par un Premier ministre que le président avait lui-même désigné et qui maintient le statu quo.
Mais tout semble indiquer qu’on devra attendre jusqu’aux calendes grecques avant que justice soit rendue. Martine Moïse est la personne la mieux placée pour élucider ce crime mystérieux puisqu’elle en était le témoin clé. Mais par peur ou par complicité, elle s’est dérobée à cette responsabilité. Elle est trop affairée à peaufiner ses ambitions politiques pour y prêter une quelconque attention. Franchement, si la justice haïtienne n’était pas une institution bancale, receleuse et vassalisée par le pouvoir politique, elle devrait exiger son rapatriement à bord du premier vol à destination du pays pour qu’elle soit passée au crible, suite à deux interviews qu’elle a accordées aux médias américains. Car, les faits concordent à dire que Martine est une vilaine menteuse. Elle en sait plus qu’elle nous en dit
Vous rappelez-vous que dans l’une de ses déclarations, elle avait insisté sur le fait que les Colombiens qui ont fait irruption dans la résidence du président pour perpétrer cet acte étaient frénétiquement à la recherche d’un “document”. De quel document est-il question ici?
Ce ne sont que des balivernes! On n’est pas né de la dernière pluie. Cette importante somme d’argent trouvée chez eux nous convainc que ce “document” auquel elle faisait référence n’était autre que les liasses de billets verts soigneusement gardés dans les coffres de la maison..
Pierre Esperance-RNDDH (Photo: www.secure.projecthope.org)
Selon les propos de Pierre Espérance( le président du RNDDH), l’ancienne première dame est retournée dans la maison pour récupérer un sac d’argent que les assaillants n’avaient pas emporté par inadvertance. Comment les Colombiens sont-ils parvenus à être au courant de l’existence de cet argent dans la maison? Qui leur a pipé l’information?
Je ne pense pas qu’il soit dans l’intérêt moral de Martine Moïse et d’autres membres du gouvernement, d’ailleurs, que ce crime soit clarifié. C’est une affaire trop sordide. Trop de noms importants pourraient être révélés. Pour moi, ce n’est pas un acte aléatoire que la première soit sortie vivante dans cette situation. Elle en est ressortie blessée, certes, mais ce n’est juste qu’un léger prix à payer pour le tapis rouge qu’on lui promet de dérouler sous ses pieds, si elle se la boucle. Rat konnen chat konnen barik mayi a rete la. L’enquête se poursuit….