Haïti : Entre ruelle Vaillant et Solino, trente-sept ans de massacre
Boukan News, 11/28/2024 – Dans la nuit du samedi 28 aux premières heures du dimanche 29 novembre 1987, lors des élections générales avortées, déjà, on pouvait entendre le cocorico lugubre des tirs nourris de rafales d’armes automatiques dans des quartiers populaires comme Carrefour-feuilles, Martissant, Bel-Air, Solino etc. Tout ceci faisait suite à un nombre d’incidents regrettables et d’actes ciblés d’intimidation des macoutes quelques jours et même des heures avant le scrutin. Ce qui, malheureusement, étaient des signes visibles que le régime militaire n’allait pas garantir la sécurité des bureaux de vote et des électeurs. Et en dépit de ce climat hostile, le peuple, brave et optimiste, était décidé à se rendre aux urnes pour élire et placer sa confiance dans une classe de nouveaux dirigeants pour prendre les destinées de la nation. Quant aux membres du Conseil Électoral Provisoire, déterminés, eux aussi à s’acquitter de leurs tâches, ils avaient pu faire parvenir, en dépit des difficultés techniques et les moyens limités en termes de transportation, les matériels électoraux et bulletins dans les bureaux de vote dans les zones même les plus reculées du pays.
Effectivement, tôt dans la matinée du dimanche 29 novembre, la population était dans les rues pendant que d’autres étaient en ligne dans les bureaux de vote pour participer aux premières élections post Jean-Claude Duvalier. Sur le visage des jeunes, se lisaient la détermination et la passion que cela procure d’aller remplir pour la première fois leur devoir civique et patriotique. D’un autre côté, les fidèles de différentes appartenances religieuses étaient encore à l’église attendant la fin de la messe dominicale pour pouvoir eux-mêmes aller à la messe électorale. Pendant que par prudence, une autre catégorie était restée chez elle, suivant à travers le reportage de certaines stations de radios, l’évolution de la journée, avant de sortir eux-mêmes pour aller jeter les premières pierres dans le processus démocratique et du même coup permettre au pays de démarrer sur la voie du changement et du progrès.
À travers des reporters, observateurs, experts et analystes commentant les élections, en grande partie, la communauté internationale était au grand rendez-vous pour couvrir les toutes premières élections de la période post-dictature. Certes pendant les vingt-neuf années des Duvalier, il y avait toujours eu des élections pour élire des députés et magistrats, mais elles étaient toutes dirigées et orientées par le régime aux profits des candidats de la grande famille dynastique duvaliériste. Cependant, les dernières élections sénatoriales et présidentielles remontaient à septembre 1957. Donc avec les élections générales de novembre 1987 sous la direction d’un Conseil Électoral Provisoire indépendant, cet engouement de la presse internationale pour couvrir l’événement était compréhensible.
Quant aux journalistes et reporters haïtiens de la diaspora, eux aussi, très concernés, ils étaient au rendez-vous pour couvrir après presque trente ans, les premières élections législatives, mais surtout présidentielles de l’après-Duvalier. En un mot, les journalistes, compatriotes des communautés haïtiennes de la diaspora comme ceux de l’internationale, ils voulaient être témoins de ce grand événement historique.
Mais les forces obscures du duvaliérisme, comme d’habitude, elles avaient d’autres plans macabres pour le pays. Assurés de la complicité des membres du « Conseil National de Gouvernement (CNG) », spécialement du ministre de l’Intérieur qui avait failli à sa mission de garantir la sécurité sur tout le territoire comme il était conclu, donc les nostalgiques du pouvoir duvaliériste avec, dans leurs rangs, des militaires en civil, pour des frappeurs, ils avaient frappé très fort.
Montés à bord des voitures pick-up, avec des cagoules, munis de leurs armes automatiques de petit et grand calibre, machettes, les mélancoliques du pouvoir blessaient et tuaient les votants dans les bureaux de vote. À l’école publique Daguinneau Lespinasse, à la ruelle Vaillant (du haut de Lalue) à Port-au-Prince, les commandos composés de macoutes et militaires avaient une fois de plus, endeuillé, ensanglanté la famille haïtienne. Ainsi se matérialisait ce que, dans les premiers jours du gouvernement de transition, redoutaient certains analystes et critiques politiques à savoir : le refus pour le duvaliérisme sanguinaire d’accepter la marche évolutive de l’histoire, et une folie aveugle et destructrice de souiller la démocratie naissante d’une sorte de “duvaliérisme sans Duvalier.”
Ce bain de sang, celui de de la ruelle Vaillant, avait pratiquement inauguré l’ère des massacres sur le peuple haïtien pour étouffer ses aspirations populaires à un vrai chambardement du statu quo tout au long de cette période interminable de transition démocratique de presque quarante ans. Par exemple le 16 décembre 1990, les criminels, dans la trempe de ceux qui avaient produit la journée tragique du 29 novembre 1987, comme ils ne pouvaient pas assassiner les électeurs dans les bureaux de vote, avaient attendu, à travers le coup d’État sanglant du 30 septembre de 1991 pour le faire. Et comme leurs pères l’avaient fait au Pont Rouge le 17 octobre 1806, non seulement ils avaient tué physiquement, mais aussi ils avaient assassiné le rêve de tout un peuple. Oui, avec la complicité des militaires de l’armée d’Haïti, les hommes de FRAPH avaient massacré les pauvres dans les quartiers populaires pour leur faire payer leur insolence de croire à un changement démocratique dans ce pays.
Quelques années plus tard, n’étant pas rassasiés d’avoir trop tué les gens dans les quartiers populaires, au moment où le pays célébrait les deux-cents ans de leur indépendance, les hommes de main du statu quo national et international avaient encore tué. Ils avaient tué pour destituer un président populaire. Ils avaient tué pour garder les franchises douanières et privilèges qui en découlent du pouvoir de transition. En un mot, ils avaient tué pour accaparer encore plus de richesses du pays.
Et depuis, rien n’est stable dans le pays. Par le biais d’une démocratie sur mesure concoctée par l’Occident, ils avaient, successivement, manipulé les élections présidentielles de mars 2011 et de novembre 2016 pour leurs alliés incompétents, immoraux, corrompus et arrogants. Grâce à leurs « puppet », de Sweet Micky au « nèg bannann », chaque jour, marche par marche, le pays entre dans une insécurité généralisée. En lieu et place des programmes sociaux dans les bidonvilles, à des fins politiques, les autorités illégales qui étaient devenues des bandits légaux à travers des élections illégales, elles distribuaient de l’argent et des armes aux chefs de gangs dans les quartiers populaires. En ce 29 novembre de 2024, trente-sept ans après la ruelle Vaillant, le résultat est palpable : massacres à La Saline, Carrefour-feuilles, Pont-Rouge, Bel-Air, Solino, Pont Sondé etc. C’est tout un pays qui est en train d’être massacré par une horde satanique de bandits.
Avant, c’était Haïti le pays le plus pauvre de l’hémisphère ou état failli, maintenant, « Haïti, c’est la Somalie, mais en Amérique ». Les experts internationaux ou pays amis d’Haïti, sans se gêner, ils disent et écrivent tout sur le pays. Mais sans se rendre compte qu’ils sont aussi de véritables artisans, architectes infernaux de cette Somalie de l’Amérique. C’est le résultat de presque quarante ans d’expérimentations dans des laboratoires nationaux et internationaux qui a permis aux ennemis du peuple haïtien de construire un tel capharnaüm.
Si trente-sept ans après la Ruelle Vaillant, des tueurs continuaient de massacrer à La Saline, Carrefour-feuilles, Pont-Rouge, Bel-Air, Pont Sondé, Solino etc., tout en continuant d’échapper à la justice, tout simplement, on peut crier haut et fort que le pays serait pris au piège d’un gros complot d’une démocratie sur mesure concoctée par l’Occident.
Prof. Esau Jean-Baptiste