Gressier ou le ras-le-bol des territoires perdus : l’heure des grandes décisions d’Etat au sein du CPT, c’est maintenant!
Boukan News, 05/13/2024 – Depuis son installation, la population a surtout été le témoin inquiet de manœuvres politiciennes au sein du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) où les groupes qui y sont représentés essaient de se tailler la part du lion, ou les tranches les plus succulentes du jeu de partage du gâteau. Les démarches émanant du CPT jusqu’à présent ne sont pour la plupart que des arrangements entre « polyarques » pour asseoir leur pouvoir. La célérité et la sérénité nécessaires pour affronter l’urgence ne sont pas encore palpables. Malheureusement. Le CPT perd trop de temps tandis que le temps nous fait la guerre. Une guerre d’usure et violente.
L’ampleur cataclysmique de la crise sécuritaire et humanitaire nécessite bien que nos nouveaux dirigeants se mettent à la tâche rapidement. La population a bu le calice de la souffrance, du désespoir et de l’amertume jusqu’à la lie. Elle en a ras-le-bol. Tout simplement.
Plus de 2,500 personnes sont tuées ou gravement blessées au cours des 3 premiers mois de l’année 2024. Au moins 300,000 autres, dont plus de la moitié se trouvent concentrées à Port-au-Prince et ses environs, ont dû fuir leurs maisons au cours des 12 derniers mois et, aux dires de l’Organisation Internationale de la Migration (OIM), cela risque de dépasser sous peu les 400,000 si nos décideurs continuent à traîner les pieds. 4,5 millions d’haïtiens sont en situation d’assistance humanitaire et environ 1,5 millions menacés par le spectre angoissant de la famine, d’après le Programme Alimentaire Mondial (PAM). Des chiffres donnant le vertige et qui pourtant permettent de cerner à peine la profondeur tellurique de la tragédie qui assaille le peuple haïtien, déboussolé.
L’attaque des gangs armés à Gressier dans la soirée du vendredi 10 mai représente la première tentative des gangs d’accroître leur domaine de territoires perdus à l’ère du CPT. Les gangs arrivent par la mer. Atterrissent sur les plages de Gressier. Amok. Gagnent la Route Nationale # 2. Les balles crépitent. Les policiers au commissariat de Gressier offrent une faible résistance avant de fuir comme les civils, peur au ventre, en direction de la commune avoisinante, Léogâne. Chaos. Honte. Déception. Angoisse. Panique. Hallucinations. Humiliations.
Léogâne, sorte de commune-arrondissement, ample territoire s’étalant sur ses 13 sections communales plus le quartier de Trouin est clairement dans la ligne de mire des gangs armés dont leur peur subliminale au fur et à mesure que se précise l’arrivée de la force multinationale de soutien à la sécurité peut inciter à plus de violence, plus d’actes désespérés, plus de tentatives de mettre la population en otage, de l’utiliser comme bouclier humain. Propagandes massives à l’appui. Léogâne subît certainement les conséquences de ce qui se passe à Gressier. Une grande foule errante s’est massée sur la place Anacaona. Sous le regard hagard de la reine. Dont la statue est sur la place. Léogâne, ma ville, saura résister. « Leyogàn gen mèt. »
Les autorités doivent pourtant assumer leur responsabilité. Quelle est la réponse du CPT face à ce premier test des gangs cherchant à contrôler plus de territoires ? Quand-est ce que cela va-t-il s’arrêter ? Quelle est sa stratégie de « containment » avant l’arrivée et l’opérationnalisation de la mission de sécurité ? Certainement, la population espère une réponse différente de celle à laquelle elle était habituée durant le règne d’Ariel Henry. Sa passivité. Son cynisme. Son nihilisme.
La réponse des forces de l’ordre ou des unités spécialisées (SWAT, UTAG) à Gressier en reprenant le contrôle du poste de police ce dimanche 12 mai en bénéficiant du support de BSAP et du commissaire Muscadin est prometteuse. Cette solidarité est à encourager pour empêcher la violence des gangs d’atteindre la région des Palmes et le grand Sud en attendant que le travail complet de rétablissement de la sécurité sur tout le territoire puisse commencer à se réaliser conformément aux priorités du CPT en fonction de l’accord politique du 3 avril 2024. Le CPT a besoin de s’activer pour montrer qu’il veut faire les choses autrement. Prendre les grandes décisions d’Etat. Agir sur l’insécurité et autres problèmes qui accablent la population. Va-t-on encore perdre une éternité pour nommer un Premier Ministre et mettre sur pied le gouvernement ? Pour faire véritablement renaître des lueurs d’espoir, le changement de ton doit être ferme, sans équivoque et ne doit plus tarder.
Joseph W. Alliance
Politologue-Expert en Médiation de Conflits