Face au Bruit et à la Fureur de l’Isolationnisme Calculé ou Sélectif de l’Amérique de Trump 2.0 : Haïti à un Tournant Stratégique et une Opportunité de Diversification Diplomatique

Boukan News, 01/26/2025 – Les bouleversements géopolitiques provoqués par la montée du populisme et de l’ethno-nationalisme aux États-Unis, amplifiés par les politiques polarisantes qui marquent déjà l’ère Trump 2.0, vont grandement redessiner les contours des relations internationales. D’entrée de jeu, dès le jour même de son inauguration le 20 janvier dernier, le président américain, fidèle en ce sens à ses tirades, discours et promesses de campagne qui avaient galvanisé ses supporteurs, signe, installé dans le Bureau Ovale, une pléiade de décrets “executive orders” touchant à des dossiers divers allant de l’immigration, à des prescrits constitutionnels comme le “droit du sol” ou à l’aide étrangère américaine. Ces décrets sont tout droit inspirés de la doctrine America First qui constitue au niveau interne un rejet du monde libéral, traduit ou vilipendé dans le langage “trumpien” comme le fruit d’une “ woke ideology” et au niveau international par un refus du multilatéralisme.

Toutefois, cet isolationnisme n’empêche pas Donald Trump de nourrir des idées expansionnistes, qui reflètent une volonté paradoxale d’étendre l’influence américaine tout en se repliant sur des priorités nationalistes. Ces ambitions ont été particulièrement visibles dans son intérêt marqué pour le contrôle stratégique du Canal de Panama, ses propositions controversées visant à faire du Canada un 51e État des États-Unis, ou encore sa tentative d’acheter le Groenland au Danemark, une démarche perçue comme un acte de provocation géopolitique. Ces exemples illustrent une forme d’isolationnisme sélectif où, tout en rejetant le multilatéralisme classique, l’administration Trump cherche à renforcer l’hégémonie américaine dans des domaines spécifiques, en fonction des intérêts géostratégiques du moment.
Ces décisions en effet, dans le sens du rejet du multilatéralisme classique et de l’adoption de l’isolationnisme sélectif conforme à la doctrine America First de Trump, particulièrement sur la question migratoire, auront des répercussions profondes pour nos compatriotes qui, fuyant la violence des gangs, la précarité et l’instabilité en Haïti, ont réussi à trouver une vie plus confortable aux États-Unis, soit par le biais du programme humanitaire de Biden, soit en prenant des risques extrêmes en traversant la jungle du Darien pour atteindre la frontière mexicaine.
L’augmentation prévue des flux de déportations vers Haïti, conséquence directe de ces politiques, ne fera qu’alimenter la crise socio-économique interne du pays. Elle va augmenter également les problèmes sécuritaires et aggraver la crise des déplacés internes, créant une pression supplémentaire sur les capacités d’absorption d’un État déjà fragilisé. En effet, dans un contexte où le gouvernement peine encore à répondre efficacement aux défis multiples de la transition, ces retours massifs risquent de compliquer davantage les efforts de stabilisation et de reconstruction sociale.
À un niveau plus global, parmi les autres faits d’actualité illustrant l’isolationnisme américain, la volonté de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) symbolise une rupture majeure dans l’engagement multilatéral traditionnel des États-Unis. Ce désengagement affaiblit la coordination internationale sur des enjeux critiques tels que la santé publique et la gestion des pandémies, exposant des pays vulnérables comme Haïti à des manques à gagner considérables en termes d’assistance sanitaire. Avec environ 15 % du budget annuel de 2.1 milliards de dollars de l’OMS assuré par les États-Unis, le retrait de l’Oncle Sam comme le plus gros bras financier de l’institution pourrait également ralentir ou stopper des initiatives vitales pour des populations fragilisées.
La vision américaine précédant l’ère Trump (ce dernier avait déjà tenté de sortir les Etats-Unis de l’OMS au cours de la fin de son premier mandat) poussait les dirigeants américains à considérer la sécurité sanitaire comme une sorte d’arme diplomatique servant également à faire avancer les intérêts américains. C’est pour cette raison qu’un programme tel que le Plan d’Urgence Présidentiel de Lutte contre le SIDA (PEPFAR en anglais) initié par le président républicain, George W. Busch avait bénéficié de support bipartisan au Congrès. Dans cette optique de “public health diplomacy”, les Etats-Unis liaient la sécurité sanitaire à la sécurité globale et à celle des Etats-Unis.
Dans le même registre, la décision de Trump de suspendre pendant 90 jours l’aide au développement, sous prétexte de réévaluer ces programmes afin qu’ils s’alignent davantage sur les intérêts américains en matière de politique étrangère, illustre clairement son unilatéralisme forcené. Pour Haïti, où l’aide américaine à travers l’USAID surtout soutient par exemple des programmes de santé, d’éducation et d’agriculture, cette décision va en quelque sorte exacerber les défis, augmentant les vulnérabilités sociales et économiques.
Dans d’autres régions du monde, notamment en Afrique, des pays envisagent déjà de diversifier leurs sources de financement. Le Dr. Ngashi Ngongo, haut responsable du Centre Africain de Contrôle et des Préventions des Maladies, a reconnu que les nations africaines n’ont d’autre choix que de se tourner vers de nouveaux partenaires tels que la Corée du Sud, la Chine ou le Japon pour financer les problèmes sanitaires. Ces partenaires ont déjà mobilisé des financements importants lors de différentes crises sanitaires en Afrique. Une réunion clé des dirigeants africains sur ces enjeux doit d’ailleurs se tenir au Rwanda sous la présidence de Paul Kagame, le 14 février prochain.
Pour Haïti, cette situation met en lumière une réalité cruciale : la nécessité de diversifier ses alliances et de réduire sa dépendance à l’égard des États-Unis en explorant des alternatives multilatérales plus inclusives, notamment à travers les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et les partenariats Sud-Sud.
Les BRICS : Une Opportunité dans un Monde Multipolaire

La montée en puissance des BRICS, désormais élargis, reflète l’émergence d’un monde multipolaire où les pays émergents cherchent à rééquilibrer le pouvoir mondial face à la domination traditionnelle des États-Unis et de l’Europe. Représentant 40 % de la population mondiale et 35 % du PIB mondial, le bloc des BRICS offre des perspectives intéressantes pour des nations comme Haïti, longtemps marginalisées dans les circuits économiques internationaux.
Parmi les atouts majeurs des BRICS figure la Nouvelle Banque de Développement (NBD), qui représente une alternative crédible aux institutions financières internationales traditionnelles telles que le FMI et la Banque mondiale. En fournissant des financements sans les conditions restrictives souvent imposées par ces dernières, la NBD pourrait soutenir des projets structurants en Haïti, comme la modernisation des infrastructures, la relance agricole et le développement des énergies renouvelables.
En outre, les BRICS se distinguent par leur expertise dans des secteurs cruciaux. L’Inde excelle dans les technologies de l’information, l’agriculture et les médicaments génériques, tandis que la Chine est reconnue pour ses capacités de construction rapide en matière d’infrastructures et ses avancées en énergies renouvelables. De leur côté, le Brésil et l’Afrique du Sud peuvent offrir des modèles de développement adaptés à des contextes similaires à celui d’Haïti, encourageant des échanges de savoir-faire et des solutions durables.
Dynamiser les Relations Sud-Sud

Au-delà des BRICS, les relations Sud-Sud offrent également des avantages significatifs. Contrairement aux relations Nord-Sud, souvent caractérisées par des déséquilibres de pouvoir, les partenariats Sud-Sud favorisent une collaboration plus égalitaire, axée sur des solutions adaptées aux réalités locales.
Haïti pourrait s’inspirer de modèles réussis, comme les efforts du Brésil pour lutter contre la pauvreté, ou des stratégies sud-africaines de gestion des ressources naturelles. Ces collaborations peuvent également aider le pays à relever des défis globaux tels que le changement climatique, la sécurité alimentaire ou la résilience face aux catastrophes naturelles.
Défis et Stratégies
Toutefois, un tel tournant stratégique n’est pas sans défis. Un rapprochement avec les BRICS, notamment avec la Chine et la Russie, pourrait susciter des tensions diplomatiques avec les États-Unis, malgré leur virage isolationniste sous Trump 2.0. Maintenir un équilibre entre les grandes puissances sera crucial pour éviter d’éventuelles répercussions négatives.
Dans le contexte actuel de transition, Haïti demeure en quête d’un soutien international significatif, notamment sur le plan sécuritaire. À cet égard, le rôle des États-Unis reste primordial, que ce soit pour appuyer la force multinationale ou pour aider au renforcement d’institutions clés telles que la Police Nationale d’Haïti(PNH). Le message du secrétaire d’Etat Marco Rubio, soulignant que l’administration Trump continuera à soutenir la force multinationale – dans la continuité de la politique initiée par Biden – est particulièrement révélateur. Cela témoigne jusqu’à preuve du contraire d’une certaine stabilité dans l’engagement américain sur ce dossier, malgré les changements de leadership.
Cette position renforce l’importance pour Haïti de manœuvrer habilement sur la scène diplomatique, en préservant ses partenariats historiques tout en explorant de nouvelles alliances pour garantir une stabilité et un développement durables.
Par ailleurs, les faiblesses institutionnelles d’Haïti pourraient compromettre l’efficacité de ces nouveaux partenariats. La nécessité de réformer et de renforcer les institutions nationales est cruciale pour garantir une gestion transparente et efficace des projets, tout en évitant une dépendance économique excessive vis-à-vis des BRICS, notamment de la Chine.
Un autre défi majeur réside dans la question de Taïwan. Haïti est l’un des rares pays à maintenir une reconnaissance diplomatique envers Taïwan, ce qui est incompatible avec un rapprochement avec la Chine. Cette situation délicate devra être gérée avec diplomatie pour éviter des ruptures brutales qui pourraient nuire à la stabilité du pays.
Pour maximiser les opportunités tout en surmontant ces obstacles, Haïti doit adopter une approche progressive et stratégique. Participer en tant qu’observateur aux réunions des BRICS pourrait permettre au pays de mieux comprendre les dynamiques du groupe avant de s’engager davantage. Par ailleurs, utiliser l’appartenance à la CARICOM comme levier pour promouvoir des initiatives communes avec les BRICS renforcerait la voix d’Haïti dans les négociations internationales. Enfin, les priorités doivent être clairement définies, avec un accent sur les secteurs stratégiques comme les infrastructures, l’agriculture et les énergies renouvelables, pour garantir un impact durable sur le développement national.
Encourager la Coopération Régionale : Un Modèle à Suivre
Dans ce contexte de réajustement diplomatique, les efforts de coopération régionale entamés par le gouvernement de transition d’Haïti, notamment avec la Colombie, constituent une démarche positive à encourager. La collaboration avec Bogotá, en particulier sur les questions de sécurité, s’avère cruciale alors qu’Haïti lutte contre une crise sécuritaire sans précédent. La Colombie, dotée d’une expérience robuste dans la lutte contre les organisations criminelles et le trafic de stupéfiants, peut offrir des solutions pratiques et des stratégies adaptées au contexte haïtien.
De même, un approfondissement des relations avec des pays comme le Salvador pourrait être extrêmement bénéfique. Le président salvadorien Nayib Bukele a démontré un succès remarquable dans la lutte contre les gangs, réduisant drastiquement la violence et rétablissant la stabilité dans son pays. Son modèle de gestion, souvent cité pour son efficacité, pourrait inspirer des initiatives similaires en Haïti, notamment par le biais d’échanges d’expertise, de renforcement des capacités des forces de sécurité et de partage de technologies. Une coopération renforcée avec ces partenaires régionaux offrirait à Haïti des solutions concrètes pour endiguer la violence et reconstruire son tissu social.
Conclusion : Une Nouvelle Voie pour Haïti
Haïti se trouve à un moment crucial de son histoire diplomatique. Face au repli des États-Unis et à l’essor des BRICS, le pays peut diversifier ses alliances, renforcer sa souveraineté et tracer une nouvelle voie de développement. En parallèle, encourager une coopération régionale avec des pays comme la Colombie et le Salvador pourrait offrir des solutions immédiates et concrètes pour résoudre la crise sécuritaire. Une stratégie équilibrée et proactive pourrait faire d’Haïti un pont entre le Nord et le Sud, tout en répondant aux aspirations de sa population pour un avenir plus équitable, sûr et durable.
Joseph W. Alliance
Politologue, Expert en Gestion de Conflits