EN GUISE D’ORAISON FUNÈBRE: JEAN-CLAUDE SANON, AUTODIDACTE DE GÉNIE

EN GUISE D’ORAISON FUNÈBRE: JEAN-CLAUDE SANON, AUTODIDACTE DE GÉNIE

« Quand on parle de Guy Saint-Vil, on a toujours la sensation de n’avoir pas tout dit ». (JCS)

Patrice Dumont

Boukan News, 12/04/2023 –Quand on parle de Guy Saint-Vil, on a toujours la sensation de n’avoir pas tout dit“. Ces mots sont du journaliste émérite Jean-Claude Sanon dans l’album des fiches techniques de l’équipe nationale que la FHF l’avait chargé de composer à l’occasion de la Concacaf 1973 de Port-au-Prince, qualificative à la Coupe du monde 1974.

JCS est décédé le 26 octobre 2023. J’emprunte donc ses propres mots pour garnir mon tribut de gratitude à sa mémoire. En partant de ses graves problèmes familiaux et la consécution de son autodidaxie, mon propos vise à souligner l’énorme mérite du confrère aîné disparu qui a fait de ses handicaps sociaux des armes redoutables pour son accomplissement personnel. Ce faisant, il a contribué majoritairement à élever la chronique sportive haïtienne à la hauteur d’un art majeur. Dans la foulée, il a gavé ma génération de culture sportive et d’esthétique grâce à sa large panoplie intellectuelle et sa passion de communiquer.

Mais derrière une grande personnalité, il y a souvent un bon environnement. Pour Sanon, ce fut, en partie, le quartier de Saint-Antoine, substitution à sa famille physiologique brisée. Hasard, nécessité, dotation personnelle, tout Jean-Claude Sanon se concentre dans ce triptyque.

À 14 ans il perd sa mère

L’enfant Jean-Claude Sanon traverse allègrement et brillamment les sept classes primaires de l’École des FIC de Pétion-Ville. Des « rivaux » comme Pierre Dévilmé et Jacques Jérôme lui tiennent la dragée haute en tête de classe. Versatile, il étonne celui-ci parce que « en classe de Moyen 1, Sanon maîtrisait des sujets de la Bible tels les conflits des descendants du Roi David, Salomon et Absalon » « Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années ».

Sa mère Aline Sanon meurt le 20 mai 1955. Il est en classe de 6e. L’adolescent va basculer dans une majorité forcée. Il doit quitter Girardeau, banlieue de Pétion-Ville. Deux cousines de sa mère l’accueillent, lui et son cadet Ronald Sanon, à la rue Jean-Charles de Fort National, informe son demi-frère Himler Rébu. Le jeune Sanon a 14 ans, et personne des sources consultées ne connaît tout son parcours scolaire. Cependant, on sait que de 1966 à 1970 par Jean-Robert “Jòbit” Argant, l’un de ses deux meilleurs amis, qu’il a bouclé un cycle d’études économiques de quatre ans à l’IHECE, (Institut des Hautes Études Commerciales et Économiques ” Chez Dabbas”). Les études secondaires sont « la vie cachée » de Jean Claude Sanon. De cette période, Himler Rébu n’est sûr que de la fin: « Jean-Claude arrête l’école en Seconde pour pouvoir gagner sa vie et surtout materner son jeune frère Ronald qui sera médecin généraliste- urgentiste ». Mais où a-t-il accompli ses cinq années du secondaire ? On ne peut être qu’apologétique sur cette période, comme l’ont été tous ceux-là qui se sont penchés sur la vie de Jésus de 0 à 30 ans. Les grandes cousines du Fort National n’ont pas les moyens de payer une école privée. Il faut un lycée. De toute façon, une école non payante. Le lycée Pétion voisin serait idéal. Néanmoins, des indices, à défaut de preuves, nous conduisent vers les Pères Salésiens de Saint-Jean Bosco à La Saline.

D’abord, impossible qu’élève au lycée Pétion, JCS n’ait pas joué de 1957 à 1960 en interscolaire avec le futur international Reynold Saint Surin, par exemple.

Ensuite, joueur de Jupiter de Portail Saint-Joseph, Sanon pouvait aisément avoir un pied au Portail, l’autre chez les Pères Salésiens.

En outre, les connaissances bibliques du jeune Sanon révélées par son condisciple Jacques Jérôme laissent croire qu’il était en contact avec des religieux en dehors de son école des FIC de Pétion-Ville. Passer le temps des vacances chez les Salésiens, enchanterait un enfant qui aime le football.

The last but not the least, la chirurgienne Marie Antoinette Gauthier, ancienne avant-centre des Tigresses, représentante d’Haïti aux JO de Munich de 1972, en 100 mètres féminin, ajoute que : « Sanon avait emmené l’équipe jouer un match d’exhibition chez les Salésiens à la Saline ». Ce dernier fait dénote un lien très fort entre le journaliste et l’institution.

Et, sans rapport avec le témoignage de son épouse chirurgienne, ancienne footballeuse, l’agronome Louis Buteau « sait que Jean-Claude Sanon a fréquenté Saint-Jean Bosco des Pères Salésiens à La Saline ». Un peu comme on sait qu’un jour on a entendu parler de Ronald Agénor sans qu’on puisse se rappeler où, quand, ni par qui.

Si tout cela fut, il n’est pas illogique de privilégier l’hypothèse des Salésiens dans la formation partielle de Sanon. Mieux, Jeannot Paul, l’historique capitaine du Don Bosco, élève de Saint Jean Bosco, “a connu JCS à l’internat des Pères avant de jouer contre lui en championnat de Ligue de Port-au-Prince lors des Zénith-Jupiter”.

Mais, comment a-t-il pu s’inscrire à l’IHECE en 1966, sans le diplôme de fin d’études secondaires?

Réponse lapidaire : jusqu’en 1970, certaines écoles supérieures acceptaient la candidature de non-bacheliers. Après ses quatre années de cours classiques et professionnels chez les Pères Salésiens, tout ce que Sanon a pu apprendre qui lui a permis d’embellir la vie de ses lecteurs et auditeurs, épris de sport et d’esthétique, lui est venu, soit du mentorat d’un ami au savoir académique reconnu – particulièrement les mathématiques – soit par ses lectures, écoutes, discussions utiles et observations personnelles. Un ancien cadre de la BNRH avoue avoir connu l’existence de France Football et de Jeune Afrique que grâce à la fréquentation de JCS qui les dévorait sans modération.

Entretemps, il se frotte à la comptabilité à l’École de Commerce Jules Taylor, Avenue Charles Sumner.

Le brio d’un jeune ne fait pas que des jaloux et des envieux. Il force aussi l’admiration Comment un Antonio André, Gouverneur au long cours de la BNRH, qu’on présente comme un grand sage, se serait-il fermé l’esprit et l’âme jusqu’au pointillisme de refuser le concours à un brillant jeune homme entré messager à la banque, qui a continué ses études professionnelles, détient un diplôme de comptabilité, au fait qu’il lui manquerait un quelconque document ? Dadou Jean-Bart dit simplement : « Antonio André aimait beaucoup Jean-Claude ».  Serge Fourcand, espèce de pape des Sciences Économiques en Haïti au cours des années 60 et 70 avait flairé le génie chez cet étudiant de l’IHECE au langage fluide et qui lui remet des devoirs soyeux. Le professeur se dépêcha de recommander JCS au concours de recrutement de la banque des banques. La suite continue un conte de fée commencé le 22 septembre 1941, sa date de naissance.

Le parcours bancaire exceptionnel de JCS ne nous intéresse dans ces lignes que dans la mesure où on l’a perçu dans l’évolution du journaliste sportif. Le brillant profil intellectuel en 1969 qu’il affiche quand le grand public le découvrit sur Radio Nouveau-Monde, il ne pouvait l’acquérir que s’il s’était lancé dans cette course effrénée de lectures, d’auditions et discussions utiles. Il luira davantage parce que le bagage du personnage se complète par son statut de banquier : intellectuel, professionnel, poids social.

C’est Gérard De Catalogne qui, en 1969, recrute Jean-Claude Sanon, plutôt comme plumitif pour le journal Le Nouveau-Monde. Témoin de l’éclosion de JCS à Radio MBC quelques mois avant, Maurice Duwiquet pouvait jurer au bureau de son ami De Catalogne que le ramage du bonhomme se rapportait à son plumage. Le micro de Radio Nouveau-Monde lui fut aussitôt ouvert au cours de la même année, témoignent, à une légère différence près, les journalistes Marcus Garcia et Raymond Jean-Louis, deux jours après le décès de l’intéressé, le 26 octobre dernier.

Pierre P. Charles

Pierre Paul Charles, bel esprit s’il en est, pour me confirmer la curiosité scientifique du confrère, pronostiquait que « Sanon lit avec attention même les encarts publicitaires des journaux ». Le jeune s’est pris en charge. Pourvu du fond primaire des FIC, mais d’un secondaire douteux, il s’est constitué un vrai socle intellectuel pour passer le concours de caissier de la banque centrale et maîtriser à l’Université la complexité des concepts d’économie.

Autodidacte non épargné par le mauvais sort, le mérite de l’homme est incontestablement considérable. On s’en convainc en reconnaissant les avantages de la couvaison des maîtres et des institutions dans la formation des pupilles. L’immense vertu de la didactique classique at large, réside, en effet, dans la succession collective consentie des maîtres, professeurs et parents, institutions morales, laïques ou religieuses, penchés sur chaque individu élève et classe d’élèves, le/les polissant, le/les repolissant, constituant dans un projet d’éducation bien défini, selon René Huyghe, « l’ensemble des moyens de pression mentaux dont dispose la société pour MODELER l’individu ».

Oui, jeunes de mon pays, un de vos alter ego, orphelin de mère à la sortie de l’école primaire, d’un père désespérément absent, a presque inventé le métier de journaliste sportif dans notre pays, a gravi tous les échelons de la banque centrale, pour en devenir le gouverneur. La constance dans le malheur peut aussi déboucher sur du succès.

Une famille pour JCS

À la vérité, tout ne fut pas que malheur pour le jeune Sanon. L’influence du quartier de Saint-Antoine s’étendait sur environ trois kilomètres à la ronde. Il touche la ruelle Nazon à l’est et Fort National au nord-ouest. C’est ainsi que Sanon y pêche de nombreux amis: Dadou Jean-Bart, les Lafontant, les Berrouet, Maître Rodrigue Casimir, celui-là même qui sera du ministère public au procès des Timbres-Postes en 1975, surtout Clivans Georges qui lui amène son condisciple durant douze années, Jean-Robert Argant. Les deux constituèrent avec JCS le trio de potes le plus observé du quartier de Saint-Antoine. Par exemple, Daniel “Dady” Buteau sécurise encore dans un coin de sa mémoire la plaque d’immatriculation 3401 de la Wolswagen verte de JCS qu’utilisait souvent Jean-Robert “Jòbit” Argant amusé en l’avouant.

Clivans Georges, certes, mais nous parlons là d’une fratrie que tous les jeunes branchés de Port-au-Prince connaissaient: Ronald qui deviendra orthopédiste; Clivans footballeur estival (Titans), footballeurs universitaire de la Faculté des Sciences de l’UEH, météorique arrière central du Victory en première division; Sonia cadre du Ministère des Finances; Jacqueline de la première génération des footballeuses des Tigresses; Phèdre le plus brillant volleyeur de sa génération (Saint-Louis, Canado-haïtien, Nippon); Gary passeur en volley-ball et sprinter féroce de 100 et 200 mètres, représentant d’Haïti en athlétisme aux JO de Munich en 1972 (Nippon, Saint Louis de Gonzague);Jean-Claude Sanon est adoubé.

La maison des Georges, 148, angle avenue Poupelard et ruelle Chrétien, en ce temps-là, est l’un des centres de réunion de la jeunesse scolaire, universitaire, sportive, associative, mondaine, du quartier de Saint-Antoine, admet l’historien Pierre Buteau, lui aussi du quartier avec ses trois frères : Daniel, Jean Hénold, Louis. Celui-ci ajoute que si de l’angle route du Fort-National et rue Borgella jusqu’à Nazon, on parle du “Quartier de Saint-Antoine, c’est que la paroisse est au sommet de la hiérarchie des centres de réunion du quartier, “Famille Georges, Impasse Baron, Ravine Pintade”. Elle en est l’ultime point de ralliement”, particulièrement lors des messes dominicales. Chez les Georges, on cause, on discute, on planifie, on boustifaille. Comme ce soir du 6 juin 1970, veille de Brésil- Angleterre de la Coupe du Monde de Mexico où Louis Buteau s’exclame de voir presque une foule palabrant passionnément, et a reçu cette réaction de Rodrigue Casimir juché sut la capot d’une voiture: « Piti, sa k pral gen la a demen nan Brezil-Angletè a, pou di gen dòmi aswè a! » On joue au badminton sur la cour des Berrouet contiguë à celle des Georges. Le Centre Sportif des Pères du Séminaire au fond de Sans Fil, aujourd’hui Solino, attire tous les footeux du quartier, surtout en été. Le terrain “Bolide”, entre Lalue et Bois-Verna, offre une option en cas de trop-plein du Parc Séminaire. Jean-Claude Sanon est plongé dans un bouillon de culture juvénile. Il s’est trouvé une famille et va y fonder la sienne propre avec mademoiselle Lyzelte Lygner. Lui, il apporte son expérience de footballeur de Ligue de Port-au-Prince, en 4e et 3e catégorie d’abord, puis señor et de membre de l’équipe réserve de l’Étoile Haïtienne. Caissier de banque, même si les dépenses domestiques pèsent, sa part est garantie au moment des inévitables cotisations pour la marche des incessantes activités du quartier. Sa Wolswagen verte débloque bien des situations. Et sa place est incontestable dans le onze du fleuron du quartier, le club de football Titan, dont Rodrigue Casimir est président. En Jean-Claude Sanon, Docteur Raynald Dévilmé, capitaine de l’équipe Nationale aux Jeux Panaméricains de Cali de 1971, se souvient “d’un milieu offensif extrêmement actif dans les rangs de Titan en 1966”. Sanon avait pour partenaires, entre autres, le solide arrière central gaucher Clivans Georges, trois futurs proches internationaux, Paul “Ti Michel” Jacques, portier du Don Bosco, Serge Ducoste de l’Aigle Noir, Roger Saint-Vil du Racing. Ce milieu social d’une rare fécondité socio- humaniste renforça l’envol de Jean-Claude Sanon vers les cieux du succès glorieux. Les amis ne lui laissèrent même pas le temps de se gêner à raconter que sa pauvre mère est morte en avril 1954 parce que, étant confondue avec une pile de sacs de légumes en route pour la Croix-des Bossales, à hauteur de Platon Bellevue (Bourdon), elle a été culbutée sur le pavé par une manœuvre extrême du camion qui la transportait et broyée par un autre qui arrivait en trombe à contresens. Il ne se souvenait même pas si son père avait assisté aux funérailles. Non pas que le jeune adulte mature fût comme  l’enfant de La Fontaine, “…L’âme occupée

Que du continuel souci

Qu’on ne lui enlève point [son ballon] “, il avait plutôt grandi dans le dur et avait appris à “délaisser le pire pour prendre le meilleur”. Le meilleur était là : Saint-Antoine. Raphaël Pierre, ancien international du Violette “pensait que cette maison était l’adresse de Sanon”.

Épanoui dans les meilleures dispositions psycho-sociales, il pouvait optimalement mettre ses atouts intellectuels au service de ses métiers de presse et de banque. Bien que JCS ne fût pas un pur produit de Saint-Antoine, cette petite communauté, Impasse Baron, ruelle Pescaye (antre de la tigresse de volley-ball, Ermite Adam), ruelle Chrétien, Ravine Pintade, le considéra entièrement sien. Il en était de même pour Dadou Jean-Bart, résident de la ruelle Chrétien. À propos, s’était-on jamais arrêté sur cette curiosité d’un quartier de cet immense Port-au-Prince qui produit en même temps deux monstres sacrés d’une discipline, le journalisme sportif, dont ils n’avaient hérité que quelques rudiments foetaux!? Pas de doute qu’au tournant de 1970, Jean-Claude et Dadou, grands fouineurs devant l’Éternel, savaient que les Constantin Henriquez, Cognac Auguste, Seymour Pradel, les frères Léon, Victor et André Chevalier, étaient tous parmi tant d’autres, pionniers du football haïtien, en 1900 et 1901, dans les trois foyers documentés, les Cayes, Port-au-Prince, Port-de-Paix ! D’ailleurs, en 1998, Dadou mit ces données à la portée du grand public dans l’introduction de son ouvrage Haïti dans la Merveilleuse Histoire de la Coupe du monde de football.

Mais pas sûr qu’ils savaient en 1970 que le plus célèbre des Chevalier, André, est leur ancêtre journaliste sportif le plus éloigné, une sorte de « Néandertalien » de la chronique sportive haïtienne, ayant présenté un bulletin sportif régulier sur les ondes de HHK en 1926. Cette information paraîtra prochainement dans une véritable somme de la radiodiffusion en Haïti écrite par Jaklin Jean Paul.

Le journaliste sportif

Plume alerte et connaisseur

Jean Claude Sanon

, Jean-Claude Sanon fait les délices de Haïti Volley-ball au tout début des années 60.  Jean-Robert Argant, ancien international de la discipline le reconnaît sans parti-pris. Reconnaissons-le, du kindergarten du village de Jacques Joachim, il passa à l’Ivy League de l’époque, de 1968 à 1974: Magloire Broadcasting Corporation 4 VBM (MBC), Radio Haïti, Nouveau-Monde, Métropole. Respect absolu de ses employeurs et de ses auditeurs : jamais de retard, jamais de dérive verbale, jamais de débordement du temps imparti. Cette rectitude déontologique servait des qualités techniques hors du commun, allant de la rédaction toujours impeccable à l’élocution facile, élégante et accessible, jusqu’à la culture générale et spécifiquement sportive érudite et nuancée. Méthodique, il informe: les faits bruts. Puis il analyse : saisie, causalité, portée de l’événement. Il narre puis décrit. Soit encore il synthétise. Samedi 14 avril 1973, Racing bat Violette 1-0. Lundi matin 16 avril, mes frères jumeaux Anthony, Carlos et moi sommes frénétiques devant le poste de radio. Et ça claque :  Samedi soir, au stade Sylvio Cator, Frantz Jean-Paul, avant-centre du Violette et meilleur buteur du championnat, s’est empêtré dans les mailles serrées d’une défense du Racing très athlétique, commandée par un Wilner Nazaire très sûr de lui. Obas semble revivre au milieu du terrain tandis que Domingue s’est payé quelques audaces en attaque.

Pour le Violette:

Le Violette a surtout été victime de ses nerfs après le coup de massue de Joseph Obas dès la 2e minute. L’isolement de Jean-Paul n’a pas contribué à améliorer les choses. Bien au contraire”.

Tous ces atouts, les auditeurs les percevaient au studio où Sanon présentait sa chronique, dans les journaux ou dans les cabines de commentaires de match, en Haïti, comme à l’étranger. C’était amplement suffisant pour assurer le plaisir de tous et par là gagner le statut d’une authentique vedette.

Apprenant boulimique, maniaque de la discipline, intégriste de la perfection, Jean-Claude Sanon cisèle ses mots, polit ses idées, mesure son temps pour offrir à ses lecteurs et auditeurs, le meilleur de lui-même. Le meilleur tout court. Car, cet homme est LE journaliste sportif. De classe mondiale. En plus de sa langue maternelle l’ayisyen, comme poisson dans l’eau en anglais, espagnol, français ! À l’écrit, comme à l’oral. Sa contribution à cette discipline est incommensurable. Gare au professeur de français qui se perd à proposer la rédaction “Racontez un match de football auquel vous avez assisté”. À l’issue de la correction, il croira n’enseigner qu’à des Justin Lhérisson. Jean-Claude Sanon était passé par là.

Il faut revisiter les bibliothèques « historiques », Saint-Louis de Gonzague et Nationale, pour regoûter à ses couvertures prégnantes des grands matchs marqueurs d’époque dans l’esprit du Salvador-Haïti 0-3 du dimanche matin 28 septembre 1969, buts de Claude Barthélémy, Tom Pouce et Guy François. Dans le reportage de ce match, il réserva à Francillon un traitement princier qui présagea la grande carrière du victoryste culminant à sa désignation de meilleur gardien du premier tour de la Coupe du monde 1974.

Vous relirez aussi sa couverture football des Jeux Panaméricains de Cali de 1971, celle des éliminatoires Concacaf des JO de Munich déroulées à Trinidad dont Philippe Vorbe avait remporté le Ballon d’or. Wilner Piquant y gagna ses cinq premières capes. Et Jean-Claude Sanon souligna à l’encre forte que le “maigrichon de l’Aigle” arborera pour toujours cette particularité d’avoir inauguré sa carrière internationale à l’étranger, soit à Port of Spain et à San Fernando. Et dans un registre d’évaluation individuelle, Sanon analysa la morphologie de Gérald Romulus similaire à celle de Pelé. Il étendit la comparaison, plutôt la ressemblance, à la qualité du jeu de tête des deux hommes. Qu’est-ce qui explique la détente verticale et la qualité du jeu de tête des deux hommes? Pour Sanon, la puissance de leurs muscles inférieurs en relation avec leur centre de gravité situé bas (chez l’humain le CdG se situe dans la région du 3e vertèbre lombaire). Surtout, il ne se cachait pas quand ses références historiques pouvaient éclairer l’actualité. Après un Racing-Victory, en 1981, au cours duquel Romulus réussit un grand pont au détriment du gardien Frantz Lefèvre, récupéra le ballon dans la surface de réparation et marqua dans le but vide. « Il osa », selon le mot de l’analyste politique de Boston, Julio Midy, déclarer : « Gérald Romulus a réussi là où le Roi Pelé avait échoué ».

Dépassement de fonction

Le journaliste Jean-Claude Sanon donne plus que ce que lui exigent ses contrats. C’est un militant du sport.

Emmanuel Sanon et Dino Zoff

Le Roi Pelé et les artistes associés Tostao, Clodoaldo, Gerson, Jairzinho, Carlos Alberto, éblouirent Sanon présent à la Coupe du monde de 1970 au Mexique. Ce fut aussi un pèlerinage initiatique à la culture musicale brésilienne. C’est ainsi qu’il imposa deux morceaux brésiliens sur les ondes haïtiennes : l’un, « Carnaval do Bahia », comme thème de son émission matinale Atout Sport de Radio Nouveau-Monde; l’autre, mythique, Voltar Eu Nâo, comme musique d’ambiance des grands événements de football sur Radio Métropole après 1975. Le 28 novembre 1976, envoyé spécial à la Havane pour les commentaires en direct du match éliminatoire de Coupe du monde 1978 Cuba-Haïti, Jean-Claude Sanon est silencieux, du silence angoissant des films d’horreur quand s’approchait le coup d’envoi. Et aucune image de la Havane n’apparaissait sur l’écran à 10 minutes, 5, 3, 2. Et quand enfin, l’écran s’anima, c’était pour voir, au 1/10 de seconde, le blondinet Nuñez fusiller Francillon des 20 mètres et entendre Jean-Claude Sanon s’écrier faussement neutre : « But de l’équipe cubaine » ! Une dramaturgie à vous couper le souffle littéralement ! Manno Sanon égalisera, comme il le fera au retour à Port-au-Prince le 11 décembre. C’est Voltar Eu Nâo (Non, je ne retournerai pas) qui nous soutint durant toute cette attente psycho somatique. Cette musique, paradoxalement, ne traite pas de sport, mais d’un dépit amoureux. Le rythme et la mélodie, croyait avec raison Sanon, accrochera le public. Rappelez-vous la partie onomatopée de cette musique : Wap pa padaaa! Wada pawe daaa! Wa da p pada pap pada, pap pada, pada pawe daaa… Elle est disponible sur Youtube: « Golden Boys, VIe festival de la chanson populaire, 1971 ».

Durant plusieurs années, Sanon prit rendez-vous avec ses auditeurs le 30 ou 31 décembre pour la revue annuelle des informations sportives enrobée de commentaires judicieux. Tout y passait : boxe et Muhamed Ali et Kid Ali l’Haïtien, tennis et Jimmy Connors, football haïtien et la Sélection Nationale, athlétisme et Sebastian Coe, Dieudonné Lamothe, échecs et Bobby Fisher, Boris Spasky, ping-pong et Joubert Toussaint, Théodore Dreux, les frères Westerband, cyclisme et Eddy Mercx, football féminin et Tigresses, Amazones, Gladiatrices, automobile et Emerson Fitipaldi, basket et Kareem Abdul Jabbar, volley-ball et Bob Faublas, Dany Mompoint…

À ce rendez-vous, nous nous installions en posture sacrale, plaignant, voire méprisant les mécréants qui s’adonnaient aux fêtes païennes à ce moment.

Puis-je passer sous silence l’énorme réalisation de JCS: sa levée de fonds en une matinée, sur radio Métropole, pour payer la disponibilité du buteur national Manno Sanon, sous contrat avec le Berschoot d’Anvers, à l’occasion des matchs éliminatoires de Coupe du monde les 28 novembre et 11 décembre 1976!? Les deux fois, 1-1, et Haïti gagna à Panama le match d’appui 2-0. Personne ne s’offusquerait si ces trois matchs sont référencés dans l’Histoire. « Matchs des Sanon ».

Et son coup du Poisson d’avril en 1972 ou 1973 (veuillez m’excuser) annonçant une correspondance à Port-au-Prince de l’avion transportant l’équipe nationale du Brésil en route pour Kingston ! L’humour est aussi un trait de culture. Les Brésiliens, ajouta-t-il sérieux comme un pain rassis, en profiteront pour s’entraîner au stade Sylvio Cator dont les barrières seront ouvertes dès 3: 00 h; elles restèrent fermées. Plus de 3000 “fous” avaient mordu à l’hameçon. Ils retournèrent bredouilles au bercail. Sans acrimonie.

J’en ai encore sous la main. Phèdre Georges – les Georges une fois de plus – idole du volley-ball et entraîneur de Canado et Sacré-Cœur, eut l’idée, avec ses amis de Terminale au Canado-Haïtien, d’organiser le premier match de football féminin en Haïti. Ce sera le 19 décembre 1971. Jean-Claude Sanon, naturellement, aida ces élèves à peaufiner le projet: interviews, terrain de match, promotion à tout va, arbitrage… C’est d’ailleurs lui qui dirigea le match comme arbitre, assisté d’Albert Pierre-Louis et Fritz Saint Ellus, de vrais arbitres, précise Dr Gérard Janvier, lui aussi ancien du Canado et dirigeant pour la vie du Victory, dans un article hommage à Sanon.

À l’aune mondiale, en matière d’impact sur ses lecteurs et auditeurs, il s’était élevé à la hauteur d’un Victor Hugo Morales, l’Uruguayen. En matière d’influence intellectuelle et institutionnelle, il ressemble à Gabriel Hanot, le Français du quotidien L’Équipe qui avait inventé la Coupe d’Europe des Clubs Champions. Les deux, sportifs totaux : pratiquants, fondateurs d’institutions, dirigeants, promoteurs d’idées novatrices.

Que n’a pas fait Jean-Claude Sanon dans le football haïtien ? À ma connaissance, il n’a pas été entraîneur. Mais il fut président de la Commission des Jeunes et secrétaire général de la FHF en 1976 et 1978. Il a aussi dirigé la Commission nationale de football féminin. Dans cette position, Sanon devait innover. Car, il ne cessait de regretter que la “Sélection Nationale était l’arbre qui cachait la forêt”, autrement dit que le football haïtien se résumait à la sélection. Il renforça les compétitions de jeunes dans l’optique de la participation haïtienne à la première Coupe du monde juniors que remporta l’Argentine de Maradona au Japon. Aux éliminatoires, Haïti termina 3e sur 6 derrière Mexique et Honduras, pays hôte. Chez les seniors, Sanon revivifia les championnats de ligue communale pour créer un championnat national pilote avec les différents champions. L’Aigle Noir le remporta aux dépens de l’Ajax de Jérémie (1-0), coup franc de Bobo. Mais le fait marquant de la compétition fut l’exploit du Velox de la Croix-des-Missions, animé par l’excellent Jean-Marie Pauyot, d’éliminer le Violette des Jean-Joseph, Montironi, Mathelier, en 1/8 de finale le 25 juin 1978.

Adieu JCS, l’Archimède

Ave César ! Ceux qui, après vous, sont venus, vous saluent. Je ne vous en veux pas de ne vous être élevé qu’à la hauteur d’un homme très cultivé dans la vie nationale, un intellectuel du sport, donc sectoriel, et un technocrate bancaire, du plus haut niveau il est vrai. Je ne vous en veux pas de ne vous être pas érigé en un intellectuel intégral qui “s’occupe de ce qui ne le regarde pas“, c’est-à-dire qui se prononce sur tout ce qui concerne la sphère publique. Je ne vous en veux pas de n’avoir pas écrit au moins deux livres, sur le sport et sur la monnaie en Haïti. Mais…

Vous avez laissé vos articles en héritage. Votre sens de la méthode aussi. Un jour, peut-être, on les rassemblera en un beau livre. Je craignais de ne pas pouvoir dire assez de vous. J’espérais éclairer sur votre personnalité. L’ai-je pu faire ? Je n’en saurai peut-être rien. Les lecteurs d’aujourd’hui sont si exigeants. Aussi exigeants que vous avez été brillant et profond. J’ai anglé mon hommage sur votre autodidaxie. La plupart de ceux qui vous ont connu sont taciturnes, pudiques, sur le sujet. Il y en a qui pensent que ce n’est pas éthique de publier un texte sur un défunt. Même sur sa vie publique ! Même si c’est une apologie, une oraison funèbre, quoi ! Moi, je fais la différence entre sphère privée et sphère publique. Dans beaucoup de pays, bien avant votre mort, on vous aurait élevé des statues, et beaucoup d’ouvrages seraient consacrés à votre parcours. Des indices me permettent de penser que vous-même avez été très discret, peut-être même secret, à propos de votre vie. C’est un sentiment. On ne condamne pas un sentiment ; il faut le comprendre chez l’autre et essayer, s’il est toxique pour soi, de s’en affranchir. Des autodidactes, j’en connais des ordinaires et des super brillants. Quand j’ai tenté d’établir le rapport entre votre parcours académique escamoté et votre carrière professionnelle doublée d’une envieuse notabilité sociale, je m’ébahis et je me dis que vous êtes exceptionnel. Avec Pierre Paul Charles j’ai souvent eu des discussions philosophiques sur le sens de la vie, le rôle du travail : travail sanction, travail source possible d’accomplissement de soi. Avec ou sans patron. Et nous en étions arrivés à adopter le mot du levier d’Archimède : “Donnez-moi un point d’appui et je mettrai la terre en branle” dont votre vie est une sublime illustration. Plus terre à terre, on évoque souvent le dicton de sens faussement voisin, “avoir le pied à l’étrier”, se mettre en bonne position. L’équivoque n’est pas loin. Possible que dans vos péripéties il vous fût arrivé de “mettre le pied à l’étrier”, mais moi, je proclame que dès lors que vous aviez eu les deux points d’appui de votre vie, la pige à MBC et le concours d’entrée à la BRH, vous avez mis en branle la terre de la presse sportive et celle de la BRH. Vous avez dépoussiéré Haïti. Je vous vois donc parmi les humains, femmes et hommes, qui savent forger leur destin du chrysocale en or authentique.

Patrice Dumont, Journaliste sportif

Cet article a été publié dans les colonnes du Nouvelliste

https://lenouvelliste.com/article/245663/jean-claude-sanon-autodidacte-de-genie

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