Emmanuel Macron face à son destin: les enjeux d’un pari présidentiel audacieux

Emmanuel Macron face à son destin: les enjeux d’un pari présidentiel audacieux

Yves Pierre

Boukan News, 06/14/2024 – La décision fracassante du président français Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et de précipiter la France vers des élections législatives anticipées les 25 juin et 2 juillet prochains continue de susciter de nombreuses interrogations sur la stratégie politique du chef de l’État français. Au-delà du coup de poker tactique visant à recomposer sa majorité parlementaire, ce sont les conséquences à long terme de ce choix qui focalisent désormais l’attention des observateurs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’hexagone.

Un contexte politique incertain

Car si les derniers sondages créditent la majorité présidentielle d’une avance notable, avec une fourchette de 310 à 350 sièges, rien ne garantit pour autant au camp macroniste de retrouver la majorité absolue des 289 élus, dans un contexte de forte volatilité électorale. La poussée enregistrée par le Rassemblement National et la France Insoumise lors du dernier scrutin européen, captant à eux deux près de 40% des suffrages, a rebattu les cartes du jeu politique hexagonal.

Le président Macron semble d’ailleurs en avoir pris la mesure, lui qui a justifié sa décision de dissoudre par la nécessité de “clarifier les choses” face à la progression des « extrêmes ». Un argument qui masque mal le véritable objectif du président : se donner les moyens de poursuivre son ambitieux programme de réformes libérales, quitte à enjamber les oppositions. Cette approche verticale du pouvoir, héritée du premier mandat, suscite une défiance grandissante dans l’opinion publique.

« Les Français attendent autre chose que le rouleau compresseur présidentiel. Ils expriment une réelle soif de démocratie apaisée, de dialogue et de compromis trans-partisans sur les grands sujets », analysait récemment le politologue Pascal Perrineau dans les colonnes du Monde. Un constat qui tranche avec la position inflexible d’Emmanuel Macron, bien décidé à en découdre avec ses opposants dans les urnes avant même d’envisager toute forme d’aggiornamento politique.

Réactions contrastées de l’opposition

La dissolution de l’Assemblée nationale n’a pas manqué de faire réagir les principales figures de l’opposition, dessinant les contours d’un débat politique déjà tendu. À gauche, Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, a qualifié la décision présidentielle de « coup de force institutionnel ». « Emmanuel Macron veut transformer ces législatives en plébiscite pour sa personne. C’est un déni de démocratie qui ne fait qu’exacerber les tensions », a-t-il déclaré lors d’une réunion à Marseille.

Du côté du Rassemblement National, Marine Le Pen a vu dans cette dissolution « l’aveu d’échec d’un président aux abois ». « Il espère sauver les meubles avant que les Français ne le sanctionnent pour sa politique antisociale », a affirmé la députée du Pas-de-Calais, appelant à « un vote massif pour envoyer un message clair à l’Élysée ».

La droite traditionnelle, elle, semble plus divisée. Si certains cadres des Républicains, à l’instar de leur ex-président Éric Ciotti, dénoncent « une manœuvre politicienne pour esquiver le débat de fond », d’autres comme le président du Sénat Gérard Larcher adopte une posture plus mesurée : « Cette dissolution est un choix que nous respectons, mais qui engage la responsabilité du président. Il devra en assumer les conséquences ».

Ces premières salves laissent augurer d’une campagne électorale offensive, où chaque camp cherchera à imposer sa lecture de l’enjeu. Pour Philippe Moreau-Chevrolet, expert en communication politique, « ces réactions reflètent moins des divergences sur le fond que des stratégies de positionnement. Chacun se prépare à une bataille décisive pour l’avenir de la Ve République ».

Vers un quinquennat de tous les dangers ?

C’est tout l’enjeu des prochaines législatives pour le camp présidentiel : soit il engrange une victoire franche lui permettant d’avancer sans entraves, soit il subit un revers cinglant l’obligeant à un douloureux examen de conscience. Dans le premier cas de figure, Emmanuel Macron disposerait certes des coudées franches pour dérouler son programme. Mais ce serait au prix d’un regain de tensions avec les syndicats et les corps intermédiaires, une année seulement après la très contestée réforme des retraites.

« Une nouvelle majorité godillot acquise aux projets du président ne ferait qu’accroître la fracture démocratique et nourrir le procès en illégitimité populaire de l’exécutif », met en garde le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Le danger d’un nouveau quinquennat « bunkerisé », sourd aux corps intermédiaires et à la société civile, n’est pas à exclure. Avec le risque de voir le chef de l’État se muer en “monarque républicain” coupé des réalités du pays.

L’hypothèse d’une gifle électorale, si elle semble à ce stade moins probable au regard des enquêtes d’opinion, n’en demeure pas moins un scénario noir pour l’Élysée. En cas d’échec dans sa tentative de recomposition politique, Emmanuel Macron n’aurait d’autre choix que d’amorcer un virage stratégique majeur, en revoyant sa feuille de route initiale. Voire en se résignant à une forme de cohabitation avec les oppositions, perspective politique inimaginable pour le président.

De Charybde en Scylla

C’est donc bel et bien son destin présidentiel qu’Emmanuel Macron s’apprête à jouer lors de ces législatives à haut risque. Ayant fait le choix d’un affrontement frontal avec ses opposants, il semble s’être placé de lui-même face à un dilemme cornélien. Soit il l’emporte haut la main et peut poursuivre sa « révolution copernicienne », au risque d’aggraver les fractures du pays. Soit il mord la poussière et se retrouve contraint à un virage stratégique majeur remettant en cause son logiciel politique.

« Quel que soit le résultat, une telle polarisation du débat public n’augure rien de bon pour la suite. Le président aurait été mieux inspiré de tendre la main aux oppositions républicaines avant ce scrutin, afin d’éviter le spectre d’une nouvelle crise politique majeure », estime Chloé Morin, politologue à la Fondation Jean Jaurès.

Réputé pour son sens tactique aiguisé, Emmanuel Macron semble cette fois avoir pris le risque maximal. Celui d’un quitte ou double électoral aux lourdes conséquences démocratiques pour la France. L’Histoire jugera s’il s’agit d’un pari gagnant… ou d’une sortie de route politique dont les cicatrices seront difficiles à panser. L’avenir du macronisme, et peut-être celui du “nouveau monde” politique français né en 2017, se jouera sans nul doute dans les urnes les 25 juin et 2 juillet prochains.

 

Yves Pierre, citoyen engagé

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