De Jean B. Aristide en 2004 à Jovenel Moïse en 2021, les mêmes assassins !

De Jean B. Aristide en 2004 à Jovenel Moïse en 2021, les mêmes assassins !

Par Joel Leon

Pennsylvania, USA 3/17/2022 – Depuis plus de 2400 ans, Platon, ce célèbre philosophe Grecque, avait déjà clairement mis en épigraphe la différence entre la rationalité et les éléments irascibles (plaisirs et désirs), dans son fameux livre « La République ». Pourtant, en Haïti, nos hommes politiques continuent d’habiter dans l’irascibilité. Sans cette indispensable rationalité, on n’arrivera jamais à servir la nation bien-aimée, en dépit d’une volonté inébranlable.

C’est ce sentiment qui me pousse à cerner deux événements : le kidnapping de Jean-Bertrand Aristide le 29 février 2004 et l’assassinat crapuleux du président Jovenel Moïse, chez lui, dans la matinée du 7 juillet 2021. Deux mésaventures qui arrivent à intervalles distincts mais intercalées comme deux sœurs jumelles, pour répéter l’autre : « Les mêmes causes produisent les mêmes effets » !

Quand le commando lourdement armé de l’armée américaine, pénétra sans aucun respect du « grand principe universel de L’inviolabilité de la propriété privée », la mission fut d’assassiner l’ancien président Jean-Bertrand Aristide. Ce dernier avait eu la vie sauve, parce qu’en faisant un rapide état des lieux, il avait vite compris que c’était inutile de combattre, selon le témoignage de Frantz Gabriel. Car, toute forme de résistance était équivalente à un acte de suicide. A rappeler qu’il y avait moins de 10 policiers nationaux qui assuraient la sécurité de la résidence privée du chef de l’État, pendant que 25 à 30 militaires américains s’apprêtaient à prendre la maison d’assaut.

A rappeler, qu’il y avait une compagnie américaine appelée « Steele Foundation » qui assurait la sécurité du président. Cependant, quelques jours avant le kidnapping, tous les agents étaient rappelés aux Etats-Unis par le bureau central sous la demande du départ d’état.

Voilà ce qu’un témoin m’a rapporté. Nous étions déjà à quelques jours du « rendez-vous manqué » de la célébration des deux siècles d’histoire du premier « épitre nègre libre et indépendant » du monde. « Il semblerait que Mr Aristide explorait déjà les possibilités de se défaire mais, non sans négocier sa sortie ». D’après cette même personne, le président rejetait « l’option dramatique de la guerre civile ».

L’irruption du commando américain était une surprise, car Aristide négociait encore avec le département dÉtat et certaines forces politiques nationales. Cela démontre le caractère scélérat de l’intention de George Bush, via Colin Powell. La thèse de l’assassinat est justifiée du fait qu’après avoir fait le couple présidentiel prisonnier, les kidnappeurs n’avaient pas encore eu un lieu d’accueil. Ainsi, ils baladaient dans l’air avec la famille présidentielle jusqu’à ce que finalement, Jacques Chirac, président français, avait fini par négocier l’atterrissage du colis piégé en Centre-Afrique, sous la présidence de François Bozizé. Lui, qui faisait face à une menaçante  rébellion militaire de grande envergure.

Quelle que soit votre opinion du gouvernement américain, on doit admettre que ce pays a une longue tradition dans le domaine du renversement de présidents dans le monde. Ils sont de très bons organisateurs et planificateurs, sinon ils ne seraient pas dans cette position de domination à l’échelle mondiale. Donc, dire que le commando n’avait pas eu un plan bien élaboré, à savoir ou débarquer Aristide après son arrestation, relève de la sous-estimation de la plus grande puissance mondiale. L’américain n’improvise pas. Il conceptualise, planifie, organise et exécute. Si les soldats américains furent empêtrés avec le couple présidentiel pendant des heures, c’est parce que  leur mission n’était pas d’arrêter mais de fusiller le président. Au cours de l’exécution du plan, il n’avait pas prévu une capitulation pacifique. Ainsi, ils étaient contraints à modifier la mission d’assassinat au kidnapping. Car, il y avait au moins une vingtaine de personnes présentes au moment de la descente des lieux. Sinon, on parlerait aujourd’hui de feu Aristide comme on le fait pour Jovenel Moïse !

Quelles sont les circonstances qui amenèrent le gouvernement américain à prioriser l’assassinat ?

 

Pour répondre à cette pertinente question, j’ai fait appel à l’ancien ambassadeur Itinérant du régime Lavalas, Benjamin Dupuy, dit Ben. En 2004, il n’était plus à ce poste. Comme beaucoup de ses compatriotes, Ben rejetait l’option d’invasion/occupation étrangère du 15 octobre 1994. Mais, quand Aristide butait à des problèmes politiques majeurs sur le plan international et national, il faisait appel à son « zanmi kamarad », d’ailleurs de très longues dates !

Comme il avait répondu à l’appel de 1991, pour être ambassadeur Itinérant, une époque encore grimaçante de notre histoire de peuple, qui se solda par le sanglant coup d’état de septembre de la même année, qui avait fait plus de 5000 morts, en 3 ans.  Ben Dupuy revenait  officieusement en charge à partir de l’année 2003.

En 1991, Ben Dupuy était chargé de se frayer d’autres chemins afin de se démarquer de l’étouffante relation politique et économique avec les États-Unis d’Amérique. Ainsi, il se rendit en mission dans des pays africains, afin d’établir des relations diplomatiques fraternelles ; il se rendait aussi en Europe du Nord pour chercher des coopérations désintéressées et humaines avec les pays suivants : Suède, Norvège, Finlande, Danemark ; la dernière phase du voyage l’emmena en Chine. Là-bas, une visite qui s’effectuait sous l’invitation d’un groupe d’anciens diplomates chinois à l’étranger, Ben Dupuy se disait ébloui. Il visita beaucoup d’infrastructures de productions énergétiques, agricoles, technologiques…Les Chinois promirent de répliquer le système d’implantation de ces programmes en Haïti, dans les domaines de l’énergie électrique et agricole. Cependant, le coup d’État du 29 septembre 1991 a subitement mis fin à cette expérience de pouvoir populaire. Ainsi, le Taiwan avait repris la haute main sur la coopération asiatique d’Haïti en jetant des miettes aux dirigeants cupides du pays au détriment des investissements au développement de la capacité productive de la nation.

Un fait anodin arriva après cette visite en Chine. Ben Dupuy fut accompagné de plusieurs journalistes, dont la Télévision Nationale d’Haïti-TNH, la Télé Haïti-TH.

Ensuite, la TNH avait filmé toute une série d’événements au cours de la visite, dans l’objectif de présenter plusieurs reportages sur le processus de développement chinois, en termes de modèle économique réussi. Mystérieusement, tous les enregistrements de la TNH furent disparus sans laisser de traces. Il semble que ce même virus avait aussi atteint la chaîne privée locale, Télé Haïti.

Le coup d’État de 1991 a été essentiellement motivé par la volonté du régime lavalas d’ouvrir le pays a d’autres pôles géopolitiques du monde. Aristide et les masses populaires furent sévèrement punis pour cette « frekansite. »

Ben Dupuy remet le document d’Arsitide a un officiel Chinois

Bref, quand Jean-Bertrand Aristide revenait au pouvoir en février 2001, les États-Unis et d’autres pays occidentaux, l’Organisation d’État Américain, l’Union Européenne…reprenaient les mêmes activités de boycottage et de sanctions contre le pouvoir. Cette fois-ci, l’occident est plus déterminé que jamais, et en absence de l’armée d’Haïti, il utilisa les services de Stanley Lucas et d’autres apatrides pour contraindre la classe politique à adopter des positions radicales défavorables à toute idée de compromis. Ils finirent par avoir gain de cause, car le pays fut totalement isolé pendant 3 ans.

Face à une farouche rébellion internationale d’un côté et l’agitation politique permanente de l’opposition, le pouvoir fut complètement sur la sellette. Le président Jean-Bertrand Aristide, au début de l’année 2003, fit appel à Ben Dupuy. Comme je l’avais déjà mentionné, de l’aider à trouver une porte de sortie face à l’asphyxie économique de la communauté internationale de l’occident.

En tout premier lieu, Jean-Bertrand Aristide invita l’ambassadeur chinois aux Nations-Unies à visiter Haïti pour des consultations. La rencontre s’était déroulée chez le président, où ils déjeunèrent ensemble. Cet acte mécontenta énormément le gouvernement américain.

Ce contact officiel et public allait ouvrir la voie à la seconde visite de Ben Dupuy en Chine. Ben s’était rendu à Beijing au mois de mars 2003, ainsi il avait pu rencontrer des dirigeants chinois de haut niveau et posaient les problèmes du pays dans les domaines de la production agricole, de l’Energie et de la médecine.

Au mois décembre 2003, les techniciens chinois étaient déjà dans nos murs. Ils restèrent au pays pendant environ deux semaines. Ils quittèrent le pays le 28 décembre, mais pas avant de conclure leur agenda de visite des lieux qui les emmenèrent dans plusieurs administrations publiques respectives, de l’EDH, l’agronomie et même des villes de province. Ils avaient promis de revenir avec des plans de relance agricole, de la production électrique…Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que leur présence en Haïti allait propulser le département d’état à prendre la décision ultime d’éliminer Jean-Bertrand Aristide du jeu politique haïtien.

Ce qui fut fait le 29 février 2004, quand un commando américain lourdement armé et muni d’un “permis de tuer” pour mettre fin à l’expérience lavalassienne au pouvoir.

Qu’en est-il du président Jovenel Moïse ?

Jovenel Moise et Donald Trump

Il y a une constante qu’on ne peut passer sous silence, c’est la fusion mortelle entre l’oligarchie nationale et internationale pour renverser le régime d’Haïti, jugé trop indépendant. Mais qu’en est-il du cas de Jovenel Moise, assassiné le 7 juillet 2021, chez lui en présence de ses enfants et de sa femme.

Tout se déroulait très bien entre Jovenel Moïse et les oligarchies nationales et internationales. Les oligarques, tels que Andy Apaid, Reginald Boulos, Bigio, Zuraik, Andral…profitaient au maximum des largesses financières, matérielles et institutionnelles du régime. Ils arrivaient même à commenter entre eux que Jovenel était plus profitable que Martelly. Donc, ils étaient aux anges !

Jovenel Moïse éprouvait des difficultés à répondre aux exigences de « couteaux à la gorge » de Reginald Boulos. Très mécontent, ce dernier entendait prendre la bouchée double, car les autres oligarques partenaires empochaient de fortes sommes d’argent, lui ne récupérait que des miettes. La vérité, c’est que c’était Boulos qui avait introduit Jovenel Moïse a certains de ces messieurs en donnant garantie qu’il va délivrer pour eux.

Reginald Boulos, on peut dire tout de lui, mais il a toujours été un homme d’ouverture. Au moins, on sait ce qu’il pense, parce qu’il a toujours exprimé en gentleman son sentiment et sa dissatisfaction, c’est ce que plusieurs personnes de son entourage m’ont confié. Cependant, l’homme haïtien en général n’estime pas la franchise comme une bonne qualité. Quand on dit les choses comme elles sont, on est traité d’insolents, de mal-élevés…En revanche, dans d’autres pays, la franchise est encouragée, récompensée et cultivée. En ce sens, Jovenel et son équipe politique faisaient de Boulos et de son entourage (la famille des Vorbes) la bête noire du régime en place. En les traitant constamment de « syro-libanais », une épithète a haute connotations racistes et xénophobiques.

Les deux ans de campagne de Jovenel Moïse furent financés par l’oligarchie haïtienne. Donc, le président avait des obligations envers ce groupe socio-économique, connu pour leur rapacité. Ainsi, il était condamné à distribuer des faveurs de toutes sortes, des contrats juteux, d’énormes pots-de-vin, des postes ministériels…Le drame, ces dinosaures de la classe économique ne sont  jamais satisfaits. Ce n’est pas une spécificité haïtienne, c’est un comportement inhérent à toute bourgeoisie.

En dépit du soutien inconditionnel de la communauté internationale, spécialement les États-Unis d’Amérique, mais il n’a jamais été traduit en aide économique, financière, technique et technologique. Ce manque à gagner s’exprime par une absence d’initiative tendant vers le développement économique et social. Les promesses au peuple haïtien de Jovenel Moise n’arrivaient pas à se concrétiser, du fait que l’aide promise par ses partenaires américains n’avait pas été matérialisée. Par exemple, le vote contre la république bolivarienne du Venezuela a été facilement acquis à partir des promesses financières verbales de certains responsables du département d’État. Cependant, rien n’a été versé dans le bol de Jovenel.  Entre-temps, il lui restait environ un an avant la fin de son quinquennat.  Finalement, il parvenait à comprendre que le gouvernement américain s’en foutait de sa gueule, il décida de prendre des initiatives. « zanmi pre m pral ka zanmi lwen .»

C’était un mauvais calcul de la part du président Jovenel Moïse. Il n’avait pas eu le personnel politique et idéologique qualifié pour ce genre de risqués virements. Donc, c’était un acte mortel !

Les événements militaires sur le théâtre européen, entre la Russie et le bloc occidental, éclairent les sceptiques sur les risques qu’encouraient Jovenel Moïse en décidant de prendre langue avec le Kremlin. En fait, le président assassiné agissait comme s’il avait « a death wish ». Il se fragilisa partout.

A l’intérieur du pays, il faisait face à des hommes d’affaires furieux du fait que l’État contractant de lourdes dettes envers leurs compagnies, maintenant ils éprouvaient beaucoup de difficultés à récupérer leur argent. Ces affairistes, ils étaient obligés de se débourser pour payer les compagnies internationales, juste pour protéger leurs fiabilités. La pression était tellement forte sur le président, qu’il décida de ne plus les recevoir chez lui ou au Palais national.  Il n’acceptait pas non plus leurs appels téléphoniques. En même temps, il se préparait à les faire chanter sous prétexte de les livrer à la DEA pour trafics d’armes et de drogues.  C’est ainsi que la fameuse affaire de liste faisait surface. Existait-elle vraiment ?

D’après plusieurs sources très proches de l’ancien président, toutes s’accordent pour dire qu’ils avaient le sentiment que Jovenel préparait quelque chose, une sorte de coup politique pour sortir de l’étreinte des hommes d’affaires.

A ce point, le président fut totalement seul et isolé. Quelqu’un de très plausible et familier avec les événements, m’a confié qu’à la fin de sa vie, Jovenel ne faisait confiance à personne. Il est mort dans la plus grande solitude. Il tentait sans succès de dégager des alliances précoces avec certains secteurs de la gauche haïtienne, notamment Lavalas. Non seulement qu’il était trop tard, mais aussi des missions diplomatiques étrangères le mettaient en garde contre ces fréquentations jugées hostiles. En fait, Jovenel Moïse était en rébellion. Il est mort Rebel !

Si on lit ce livre de Jean Ziegler, « Main Basse sur l’Afrique », le chapitre consacré à Kwame Nkrumah qui, à la fin de son règne, éprouvait les mêmes sentiments à l’égard de son entourage. A un moment, il gouverna Ghana tout seulComme un esprit supérieur, il doutait et rejetait tous les conseils…En mission en Chine, il fut renversé par un coup d’État pacifique concocté par la CIA en 1966. Il se refugia en Guinée, il mourut en 1972 de cancer à Bucarest, en Roumanie. Jovenel Moïse avait connu les mêmes tourments avant sa mort. C’est-à-dire, trahisons et complots. Il sentait que la mort approchait, ceci explique son isolement personnel, loin des yeux et des caméras.

Pour finir, la communauté internationale qui renversa Aristide en deux fois du pouvoir, joua un grand rôle dans l’assassinat du président Jovenel Moise.  Le secteur des affaires qui avaient réuni plus de 50 millions de dollars en 1991 et en 2004 pour renverser Aristide, participaient au complot pour éliminer physiquement le président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021.

Tous les deux sont issus des milieux pauvres et paysans. Ils connurent le même sort. C’est à nous, les penseurs d’aujourd’hui, de tirer les conclusions nécessaires pour permettre aux générations à venir de comprendre que la libération du pays doit se faire sans compromis. En ce sens, il faut se comporter comme la mémoire du peuple, en laissant des documents appropriés, des analyses saines…sur l’évolution des étapes de lutte de 1806 à aujourd’hui!

Ensuite, je dois dire merci à Ben Dupuy pour ses témoignages et aussi aux courageux compatriotes, même quand ils veulent rester dans l’anonymat, mais qui m’ont raconté avec convictions et regrets à propos  des moments « chemins de croix » de Jovenel Moise, avant son assassinat.

À la question sur la faisabilité que justice soit rendue au président Jovenel Moïse, séparément et sans en être en contact avec l’un ou l’autre, ils croient fermement qu’il n’y a aucune possibilité pour que les vrais criminels soient un jour mis sous les verrous. Car, le crime est un acte international, perpétré par l’international avec la participation directe de la classe traditionnelle de pouvoir d’État en Haïti. Donc, c’est fini !

 

Joel Leon

 

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