Cité Soleil serait-elle un mal incurable ?
“Combien de gens ont-ils fait leur capitale économique et politique au nom de cette commune, puis ils lui ont tourné le dos pour, finalement, en toute tranquillité, aller dans un endroit retiré, vivre de leur fortune ? Pendant ce temps, les jeunes qui représentent l’espoir du pays continuent d’être manipulés, bafoués par des politiciens d’Haïti et les experts internationaux.”
Située en périphérie de Port-au-Prince dans le département de l’Ouest, Cité Soleil est le plus grand bidonville d’Haïti. Selon SOS ENFANTS, près de 300.000 personnes y survivent misérablement dans des conditions d’hygiène déplorable et d’insécurité permanente.
Fondée dans les années 1960 par le docteur François Duvalier, à l’origine, elle portait le nom de Cité Simone, en référence à l’épouse du dictateur François Duvalier, Simone Ovide. À l’époque, cet immense bidonville offrait l’image d’un espace sans infrastructures modernes. Déjà, Cité Simone était une zone qui, avec des projets insignifiants, faisait l’affaire des experts de la communauté internationale. C’est ce qui en poussait beaucoup, dans le cadre d’études et de recherches sur la pauvreté d’Haïti, à s’interroger sur le financement international et les actes du gouvernement haïtien en termes de progrès réalisés dans les quartiers défavorisés. Où est passé tout le financement, ont-ils demandé ?
Si après le départ de Jean-Claude Duvalier en 1986 et en signe de reconnaissance envers la Radio Catholique qui avait mené une bataille serrée aux côtés du peuple haïtien, Cité Simone était devenue Cité Soleil, elle n’avait changé de nom que pour rester la poule aux œufs d’or des experts nationaux et internationaux. Plus tout change, plus c’est la même chose !
Changer pour rester la même
En devenant commune, Cité Soleil eut droit à des autorités élues comme : ASEC, CASEC, un magistrat et un député. Et pourtant, si elle est devenue plus pauvre qu’avant, ce changement a tout autant fait l’affaire des politiciens. Si le département de l’Ouest compte presque 45% de l’électorat haïtien, Cité Soleil, avec son fort pourcentage de population, joue un rôle très important dans les élections en Haïti. Cependant, quand dans les basses œuvres des politiciens, les jeunes ne se laissent pas manipuler pour exécuter les sales besognes de leurs chefs, dans bien des cas, ils sont dans les rues pour manifester contre les dérives des apprentis-dictateurs. Grâce au pouvoir financier et la facilité de manipulation de certains politiciens sur le terrain, on rencontre souvent certains jeunes de la Cité dans les rues, pour dire selon les vœux du chef : « À bas ou vive ».
Cité Soleil, avec des maisons sans normes modernes, laisse l’impression d’une commune abandonnée. Les impacts de nombreux impacts de balles sur les maisonnettes sont les preuves des violents combats opposant régulièrement les troupes des forces onusiennes aux gangs criminels pendant les crises socio-politiques qui suivirent le départ du président Aristide en exil, le 29 février 2004.
Privés des services de base, les habitants de ce vaste bidonville sont comme abandonnés à eux-mêmes. De ce fait, la presse internationale aime, dans ses documentations, présenter cette carte postale de la cité avec de gros cochons ou, certaines fois, des enfants qui se baignent dans des mares boueuses. « L’eau de pluie qui ne s’écoule pas forme des mares boueuses infestées de moustiques dans lesquelles dorment de gros cochons noirs. Face à cette situation, les gens voudraient que Cité-Soleil change. Changer, c’est tout ce qu’ils demandent ».
Cité Soleil, source de revenus pour les experts
Depuis bien des années, mis à part Port-au-Prince, la capitale, s’il existe une autre commune dont des millions ont été déversés sans contrôle pour des projets insignifiants, c’est bien Cité Soleil. C’est cette dernière qui, depuis 1986, a connu de nombreux changements ; seule la situation de misère des pauvres gens qui y habitent n’a pas changé. S’il y a des écoles et des cliniques à Cité Soleil, ce ne sont que de misérables bâtiments qui ne répondent pas aux normes modernes de construction. Ils ont été construits par des gouvernements tout simplement dépourvus de réalisme et des amis de l’international sans réel désir d’assistance.
Il n’y a personne qui pense à nous. On vit dans la misère, la crasse, sans soins médicaux et sans emplois, disait un jeune homme. C’est dans ce vaste bidonville que, dans un espace très restreint, reposent les restes du fondateur de la patrie. Wow ! Quelle honte ! Le peuple américain ne se sentirait-il pas embarrassé si c’étaient les restes de Georges Washington qui se trouvaient dans une telle situation ? Mais nous, Haïtiens, nous sommes grands dans la petitesse. Ou plutôt non : grands dans la malpropreté !
La cité avant, pendant et après 2004
Si les impacts de balles dans les murs des soi-disant « maisons » témoignent du degré de violence dans cette commune, aujourd’hui encore, elle fait peur. En dépit de la présence de la Police Nationale d’Haïti (PNH) et des troupes de la MINUSTAH dans la Cité, les gangs armés faisaient et imposaient, comme bon leur semble, leurs lois aux habitants de ce vaste bidonville. À l’époque, les bandits faisaient peur à tous ceux qui, soit dans leur travail, soit par curiosité, voulaient aller dans cette commune.
On cite par exemple, l’époque où les kidnappings se multipliaient dans la cité, peu après février 2004 : « Il était très risqué de prendre, après une certaine heure, la route nationale n°1, voire de faire un virage pour rentrer à Cité Soleil. Comme s’ils étaient les chefs de service routier du pays, les bandits imposaient leurs lois aux chauffeurs des voitures privées et du transport public. Malheur à vous si, à la nuit tombante, vous passiez non loin de la route neuf (9) qui conduisit à ce bidonville car vous couriez tous les risques d’être enlevés ou tués ».
Quand ils n’ont pas été enlevés ou tués, par peur pour leurs vies, « les membres de leurs familles aussi bien que les employés de plusieurs propriétaires de maisons de commerces, si elles n’avaient pas déjà été brûlées ou pillées, ont été obligés de fermer les portes de leurs business. Tandis que ceux-là qui venaient de province pour faire de cette commune ce qu’elle est en termes de population, ils ont dû, par milliers, regagner leurs villages d’origine en attendant que cessent les agressions, meurtres gratuits, guerres de gangs et affrontements avec les soldats de la Mission de stabilisation des Nations-Unies en Haïti. Les autres, à l’exception des proches des chefs de gang qui gardent un minimum d’assurance de vivre sans être vraiment inquiétés, se sont simplement résignés à leur sort. Pauvres parmi les pauvres, ils n’avaient nulle part où aller ».
Dans Cruauté impitoyable à Cité Soleil, publié dans les colonnes du Nouvelliste le 14 novembre 2013, Roberson Alphonse rapportait ce qui suit : « Dans le plus grand bidonville de la capitale, on entend des tirs à n’importe quel moment. Des armes de guerre et des munitions y circulent. La cruauté, entre-temps, monte, monte et monte. Et petit à petit, Cité Soleil redevient zone de non-droit, endroit où l’on peut tuer et brûler les cadavres de ses victimes sans être inquiété ».
Il n’était pas le seul à écrire ou parler de ce grand taudis. Ils étaient nombreux ceux-là qui avaient eu des préoccupations de la situation inhumaine dont vivaient les habitants de cette commune, et qui avaient aussi eu le courage d’en parler. « Cette situation nous interpelle », confiait Pierre Espérance du RNDDH, qui décochait une flèche contre l’administration de René Préval, la CNDDR, l’OIM et l’USAID. Des dizaines de millions de dollars ont été dépensés entre 2007 et aujourd’hui dans des programmes bidon de désarmement et de réinsertion de bandits. Ces programmes ont récompensé la violence », soutenait Pierre Espérance.
Cité Soleil aujourd’hui
Si, dans les jours qui viennent, rien n’est fait, il ne serait pas facile à des journalistes et des membres d’organisations humanitaires de se rendre là-bas pour effectuer leur travail.
Donc, on ne peut pas retourner à ces heures sombres de l’après 2004. Cité Soleil doit cesser d’être un espace dont les politiciens font leur capitale politique et où les experts internationaux constituent leurs fortunes économiques. Ce vaste bidonville doit, de préférence, devenir un espace où les discours politiques répondront aux réalités socio-économiques des habitants de la zone. On doit cesser de se contenter, dans cette commune, de simples petits projets d’assainissements, pour entamer, grâce à une main-d’œuvre importante, de grandes constructions d’hôpitaux et d’écoles répondant aux normes modernes de développement. Enfin, le programme de scolarité doit parvenir à la Cité, de sorte que les enfants de tous les quartiers, et ceci sans distinction aucune, puissent prendre le chemin de l’école.
Prof. Esau Jean-Baptiste