A QUI LA FAUTE : LE MONSTRE OU LE CRÉATEUR DU MONSTRE?
Par Ducasse Alcin
Victor Frankenstein—Le personnage qui porte ce nom est tiré d’un livre publié par une jeune auteure anglaise , Mary Shelley, qui vécut au 19eme siècle Ce roman éminemment prisé par toutes les cultures est adapté au cinéma, au théâtre et aux autres genres classiques.

le contenu dépeint un récit allègrement rocambolesque où, dévoilant son affinité pour les choses horribles, l’auteure coucha par écrit dans un langage atticiste, truffé de crudité à provoquer les chocottes, l’histoire de ce savant dérangé, qui eut la folle idée de créer un monstre redoutable. À partir de la chair des cadavres humains, Frankenstein ( il s’agit ici d’une fiction) a, dans le roman, pu produire une brute dont l’aspect hideux n’avait d’égal que la barbarie de ses actions.
La créature était si effrayante qu’à sa vue, tout le monde s’obstruait le visage pour ne pas l’apercevoir. Rejeté et honni, petit à petit, il laissa développer en lui un esprit revanchard pour s’en prendre à une société au sein de laquelle il n’était pas bienvenu. Sa première cible fut son maître à qui il infligea d’indicibles souffrances quand il envoya ad patres ceux qui lui étaient les plus chers, dont son frère, son ami intime ainsi que sa fiancée.
Désemparé, Frankenstein ne sût à quels saints se vouer pour se débarrasser de sa brute, mais rien n’y fit. Car le monstre était indestructible ! Il dût prendre la tangente pour se réfugier dans l’Arctique, bien loin du reste du monde où, le chagrin et le regret dans l’âme, il mourut d’une pneumonie provoquée par la rudesse de la température polaire. À noter que même si sa mort ne venait pas directement des mains de sa créature, en revanche, le décès du savant peut être sans conteste lié au monstre.
Selon plusieurs érudits, pour rédiger son récit, Mary Shelley s’est goulûment laissée influencer par l’histoire de Prométhée, qui offre une commune mesure avec la sienne. Car, selon la mythologie, Prométhée, pensant rendre service aux mortels en leur offrant le “feu sacré” de la connaissance, s’était fait du même coup responsable de leur malheur, quand il défia l’ordre de Zeus qui le lui interdit. Vindicatif, Zeus cracha son courroux, en envoyant Pandore sur la terre avec pour mission de séduire les hommes par sa beauté romanesque; tout en emportant avec elle une boîte remplie de maux, les uns les plus sinistres que les autres.

Ayant enfreint l’ordre qui lui fit injonction de ne pas ouvrir la boîte, Pandore, guidée par la curiosité, introduisit les calamités aux humains. Se rendant compte de la gravité de son acte, elle voulût les refermer dans la boîte….. mais trop tard, les maux se sont bel et bien échappés. Aucun moyen de les récupérer !
C’est de là que puise son origine l’expression: «Ouvrir une boîte de pandore» quand on se réfère à quelque chose qui est inévitable, une fois entamé. En d’autres termes, en créant ce monstre, Frankenstein a, en quelque sorte, ouvert une boîte de pandore qui lui était désormais impossible de contenir.
Bien évidemment, ces histoires relèvent toutes de la fiction, le fruit de l’imagination humaine. Mais, au prisme de ces légendes, se dégagent aussi des leçons importantes qui trouvent leur application dans la vie courante. Prenons un cas de figure typique touchant au climat d’insécurité galopante qui s’installe dans notre pays, depuis qu’un groupe de gens, s’autoproclamant «Bandits légaux», se sont accaparés du pouvoir.

Toute personne dotée d’un esprit lucide admettra que le niveau de violence barbarique, qui est le lot des Haïtiens en ces jours sombres, est sans précédent. Jamais dans son histoire, le pays ne se heurtait à tant de souffrances. Mais, tout comme le monstre de Frankenstein, ces crimes odieux ne sont pas le fruit du hasard. Ils sont commandités, orchestrés dans un but précis : créer un environnement chaotique afin de pérenniser le pouvoir.
Pour ces vampires de la république, l’assassinat étanche une soif longtemps restée inassouvie : celle de se venger contre l’intelligentsia dont ils sont jaloux pour être dépositaire de quelque chose que les millions dérobés au peuple ne sauraient leur procurer : la compétence. Tout comme le monstre de Frankenstein, ils tuent aussi pour se venger du peuple, car ce dernier ne leur a jamais accordé son soutien. Enfin, ils s’attaquent à tous ceux qui osent se dresser au travers de leur chemin pour contrecarrer leur agenda machiavélique.
Ne se réclamant d’aucune tendance de parti, ces champions d’amateurisme adoptent comme idéologie la même méthode que certains vilains du passé dont ils s’y plaisent tant à imiter, à savoir spolier, voler, assassiner pour mieux instiller une psychose de peur susceptible d’atrophier tout mouvement de conjuration.
Qu’on ne se la baille pas ! Ce qu’on nous fait percevoir comme la violence aveugle n’est en fait qu’un mirage, une sorte de distraction pour dérober de notre vue les vrais acteurs qui trament les quatre cents coups derrière les rideaux. Si cette violence est fortuite telle qu’on la prétend, elle serait aussi présente au pas de leur porte, pas seulement au sein de la frange la plus vulnérable de la population.
Ainsi, quels que puissent être leurs noms, les groupes de gangs opérant dans la plus totale impunité qui soit dans le pays ont ce point d’ancrage comme dénominateur commun avec le monstre de Frankenstein : ils sont le produit d’un plan délibéré. Oui, les redoutables gangs de Port-au-Prince sont l’œuvre d’un État terroriste qui se sert d’eux comme ses sbires pour astreindre la population au mutisme.
De même que dans le cas de Frankenstein on ne saurait seulement imputer la faute au monstre, de la même veine ceux qui s’adonnent aux crimes abominables en Haïti —- aussi effroyables soient-ils— ne sont pas les vrais auteurs. Les grands manitous de cette horde de voyous et de rapaces qu’incarne le pouvoir sont les vrais coupables. Bien sûr, quand ils auront compris que la violence qu’ils engendrent risquent de retourner contre eux, ils tenteront peut-être de détruire le monstre qui la sème, mais ce sera vainement. La boîte de pandore une fois ouverte ne se refermera pas. Un jour ou l’autre, l’épée avec laquelle ils trucident la vie des innocents risquera de retourner contre eux. Car, comme le dit bien le vieil adage : «Qui sème le vent récolte la tempête».
Ducasse Alcin