La diaspora oxygène qui permet à Haïti de respirer économiquement
« Les transferts d’argent de la diaspora vers Haïti vont connaitre une augmentation de l‘ordre de 28% par rapport à l’année dernière, selon les déclarations du gouverneur de la banque centrale haïtienne, Jean-Baden Dubois. »
Par Esau Jean-Baptiste, journaliste
New York, USA 3/16/2022 – Même lorsque c’est elle qui déstabilise toujours le pays, le support de la communauté internationale ne se limite pas seulement aux interventions des forces de maintien de la paix ou de stabilisation comme dans le cas de la MINUSTAH en 2004. Depuis plusieurs années, le budget national d’Haïti en dépend considérablement de l’aide de la communauté internationale. Donc, si d’un côté elle prend, d’un autre, dans le cadre des programmes humanitaires, même lorsque c’est une faible partie de ce qu’elle avait pris, elle retourne toujours quelque chose à des gouvernements surtout à ceux qui en sont sortis des élections frauduleuses du « Core Group ». De leur politique qui finance, commande, la communauté internationale, tout en continuant à faire du tort au pays, dans bien des circonstances, elle a toujours manifesté leurs intentions vis-à-vis d’Haïti.
S’il en est ainsi tant dans les rapports bilatéraux que multilatéraux avec la communauté internationale qui, dans bien des cas ne sont pas en faveur des classes majoritairement défavorisées, qu’en est-il des transferts venant des Haïtiens de la diaspora qui constituent une source de revenue tellement important que le pays ne peut s’en passer.
Sous le titre, Vers un record des transferts d’argent de la diaspora vers Haïti, publié dans les colonnes du Quotidien le Nouvelliste en date du 17 septembre 2021, Cyprien L. Gary écrit que « Les transferts d’argent de la diaspora vers Haïti vont connaitre une augmentation de l‘ordre de 28% par rapport à l’année dernière, selon les déclarations du gouverneur de la banque centrale haïtienne, Jean-Baden Dubois, lors d’une interview à l’émission « Rendez-vous économique » animée par l’économiste Kesner Pharel sur radio-télé Métropole le 5 septembre 2021. Cette information émanerait de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) qui publie chaque année les statistiques de l’Amérique latine et des Caraïbes.
Tandis que « en 2020, le montant des transferts sans contrepartie envoyés par la diaspora haïtienne a été évalué à 2.97 milliards de dollars. Une croissance de 28% équivaudrait donc à un montant d’environ quatre milliards de dollars de transferts en Haïti pour l’année en cours. Il s’agit d’un sommet encore jamais atteint dans les annales des transferts sans contrepartie vers Haïti. »
Il n’y a pas seulement les moyens de transferts pour envoyer de l’argent en Haïti. Que ce soient par le biais des parents ou des amis qui rentrent au pays, la diaspora envoie toujours de l’argent en Haïti.
L’argent transité au pays par le biais des vols quotidiens
Il est vrai qu’avec le problème de l’insécurité, le chiffre d’affaires des compagnies aériennes comme American Airlines, Spirit, Delta, Air Canada, Air France, Copa Air, Air Transat, Insel Air, Air Caraïbes etc., assurant des vols internationaux des États-Unis, Montréal, Paris, des Antilles Françaises, Amérique Latine à l’Aéroport de Maïs Gâté de Port-au-Prince ne sont plus les mêmes.
Mais avant, supposons pour tous ces vols, il y avait 1000 passagers en moyenne à pouvoir fouler la piste de l’aéroport Maïs Gâté quotidiennement. Disons que 200 d’entre eux étaient des étrangers qui rentraient au pays soient pour des voyages d’affaires ou autres. Le reste (800) est indiscutablement des touristes locaux venant des communautés haïtiennes de la diaspora. Imaginons que ces 800 touristes haïtiens de la diaspora rentrent au pays avec un minimum de 300 dollars américains. On n’a pas besoin d’être trop calé en arithmétique pour trouver la somme de devise apporté au pays journalièrement par ces haïtiens. Un montant de plus ou de moins de 240.000 dollars est transité. Donc quand les experts disent des milliards de dollars par an, ce sont seulement pour les transferts, mais on peut, à partir des vols quotidiens effectuer au pays par des compagnies aériennes, avoir une idée des devises que les membres de la diaspora apportent au pays.
Dieu seul sait combien serait le taux des dollars américains en devise, si toutefois il n’y avait pas les transferts et ces fréquentes visites au pays des Haïtiens de la diaspora. Ce n’est pas sans raison que durant les trois ans coup d’État de 1991, dans le cadre des sanctions économiques imposées aux putschistes, l’administration du président Bill Clinton avait pris des mesures coercitives limitant à un individu d’envoyer seulement $ 50 en Haïti.
Cette mesure n’était pas pour punir les familles haïtiennes qui étaient déjà en proie à des difficultés économiques due à l’effet de l’embargo, mais c’était juste pour limiter les auteurs du coup en devises parce que les transferts de la diaspora étaient et sont encore une source de revenue économique importante pour Haïti.
L’industrie touristique et la diaspora haïtienne
Généralement le touriste part à l’aventure pour découvrir des œuvres d’arts, des effets d’anciennes architectures, des plages, déguster d’excellents plats, effectuer des recherches littéraires, culturelles aussi bien qu’historiques. Mais pour que le visiteur soit confortable et avoir envie d’y retourner, il faut qu’il y ait des hôtels situés du côté des aéroports aussi bien au bord de la mer, de grandes Musées, des centres modernes qui répondent aux normes internationales touristiques, des moyens de communications et de transports accessibles etc.
Tel n’est pas le cas pour Haïti. Pendant que des dirigeants d’autres pays profitent des avantages physiques qu’offrent la nature pour construire des chaines d’hôtels et, à travers des routes et infrastructures de communications modernes, connecter leur capitale avec le reste de leur pays, malheureusement Haïti est le pays ou les autorités laissent les bords de mer et les plages pour la construction de bidonvilles ou comme dans le cas de Village de Dieu, des gangs armés imposent leurs propres lois
En termes d’attentes et de demandes, les tourismes sont exigeants. Et pour un pays avec moins de 1,5000 chambres d’hôtels, dépourvus de l’électricité ou les moyens de déplacement font défaut, en un mot, aucune infrastructure, donc Haïti n’’attire pas vraiment les touristes étrangers, surtout ceux-là qui sont vraiment exigeants. Avec la prolifération des gangs armés dans presque toutes les grandes villes du pays, ces dernières années, l’industrie du tourisme haïtienne a connu un sérieux déclin.
Ajouter à cette carence d’’infrastructure qui ne peuvent pas comme les mauvaises herbes, se pousser ou se développer à elles seules, il y a aussi le problème de l’’insécurité qui depuis quelque temps, place Haïti dans de mauvaises positions pour attirer les touristes. Quand l’insécurité bat son plein et des crises politiques instables continuent, on encourage souvent la prudence aux cadres et coopérants résidents au pays. Et les autorités des pays amis demandent toujours à leurs ressortissants, en attendant une certaine stabilité sociopolitique, de ne pas voyager en Haïti.
Lakay se lakay
Quand ça tourne mal, c’est aux tourismes locaux de la diaspora que se repose l’industrie touristique du pays. A titre d’exemple même pendant le boycott du coup d’État de septembre 1991 par des milliers de supporteurs qui demandaient le retour de leur président du pouvoir, des centaines haïtiens de la diaspora s’étaient toujours rentrés au pays.
Pendant les fêtes patronales, carnavalesques, de pâques, de fin d’année et, les vacances d’été, ils arrivent un peu partout pour voir des amis, membres de la famille et surtout revivre leurs plus beaux souvenir d’enfance. On se demande, certaine fois, pourquoi ils sont venus ? Qu’est-ce qu’ils sont venus chercher ? « Men lakay se lakay »
Ils rentrent. Et pendant des semaines, ils vont dans des plages privées ou publiques. Ils mangent les délicieux fruits et plats créole du pays. Ils se sont risqués sur les routes nationales soit pour aller voir des anciennes connaissances, des membres de leurs familles ou danser leurs groupes musicaux favoris dans les fêtes patronales. Ils le font sans complexes par ce qu’ils sont chez eux.
Il faut aussi mentionner, dans bien des cas, ils font bien de mauvaises choses qu’ils ne sont pas autorisés à faire dans leurs pays de résidence. Comme des touristes étrangers, â la recherche des plaisirs de tout genre, certaines fois, avec leurs billets verts, ils exploitent sexuellement des mineurs qui, financièrement sont très vulnérables. Ce vagabondage des Haïtiens de la diaspora, doit sévèrement punir par les lois locales en vigueur.
En attendant de le faire, tout en dépensant quotidiennement dans des activités culturelles et autres, mais sainement, les membres de la diaspora qui rentrent au pays, ils injectent des devises dans l’économie haïtienne. Sans compter les recettes liées aux droits d’atterrissage, de communications, aux redevances d’arrivées et de départ, de sécurité, d’utilisation de chariots à bagages etc.
Les minutes sur les téléphones portables
Ajouter à cela, il y a un élément nouveau qui demande aussi d’être pris en compte à chaque fois qu’on veut parler des apports économiques de la diaspora. Phénomène nouveau mais qui a toute son importance. C’est cette affaire d’ajouter des minutes sur les téléphones de proches parents et amis etc… Même le résident chômeur aux États-Unis n’éprouvera pas de grandes difficultés à pouvoir placer des unités pour seulement 10 dollars sur les téléphones de ses proches. Selon une petite enquête menée auprès des parents et amis vivant à New York, Florida, Massachussetts et New Jersey, sur 50 personnes questionnées, 30 renflouent en moyenne 20 dollars de carte de recharge par mois. Alors que 15 d’entre elles disposent en moyenne 10 dollars par mois pour cette transaction. Et le reste (5) le fait occasionnellement pendant les fêtes de fin d’année.
Ce que les autres pensent de la diaspora haïtienne
On peut donc tout dire et écrire, mais c’aurait été un travail inachevé si toutefois on ne fait pas mention de ce que les autres pensent de la diaspora. Lors d’une allocution de l’ancienne ambassadrice des États-Unis en Haïti, Janet A. Sanderson au forum de reconnexion de la diaspora haïtienne en date 12 juillet 2006, déclarait que : « Les Etats-Unis restent toujours engagés en Haïti. Le gouvernement des États-Unis aura accordé une assistance de plus de 500 millions de dollars à Haïti depuis la fin de l’année 2004 jusqu’à la fin de cette année. Nous appuyons le gouvernement élu dans le cadre des défis énormes dont il aura à faire face alors qu’il travaillera en vue de fournir des soins de santé, l’éducation, la sécurité, et les emplois. Mais nous ne sommes pas seuls. La diaspora haïtienne constitue une ressource énorme pour nos deux pays. Vous de la diaspora, vous n’envoyez pas seulement de l’argent pour un montant d’un milliard de dollars chaque année, vous aidez également votre pays Haïti, en construisant ou en rénovant des écoles, des cliniques et des hôpitaux, en créant ou en faisant des dons aux organisations de charité. »
Donc si les constituants de 1987 avaient, émotionnellement, fait du tort en plaçant tous les haïtiens qui avaient acquis d’autres nationalités, à l’écart des affaires politique du pays, « ayisyen kab viv a létranjé yo pa dwe étranjé pou ayiti. » C’est le moment de les intégrer si toutefois on veut parler de reconstruction et de développement durable. Cela peut paraitre absurde aux yeux des autorités haïtiennes, mais des exemples de résultats positifs des autres pays qui ont opté pour la double nationalité et l’intégration de leurs ressortissant en terres étrangères sont là pour le prouver.
Prof. Esau Jean-Baptiste