MÉLISSA, L’EFFLEUREMENT COUPABLE
(Poème de colère et d’eau)
Mélissa,
tu n’as fait qu’effleurer nos côtes —
un souffle à peine, une caresse salée —
et déjà nos morts s’empilent sous la pluie.
Ton ombre, légère sur la mer,
a réveillé la peur d’un peuple nu,
habitué à tendre les mains vers le ciel —
non pour prier,
mais pour ne pas se noyer.
Tu as frappé la Jamaïque de ta rage,
mais c’est Haïti qu’on pleure encore,
Haïti qu’on enterre sans sépulture,
Haïti qu’on promet de rebâtir
depuis toujours —
et jamais demain.
Les faiseurs de promesses vides,
ces CPT de papier et de vent,
ont encore parlé de solidarité,
de compassion, de reconstruction,
pendant que les vivants creusent
à mains nues
pour retrouver les leurs.
Et la Protection Civile,
institution de mots et de micros,
crache des chiffres sans visages,
des bilans sans larmes,
pendant que le peuple ne voit
ni tente,
ni pain,
ni bras secourables —
seulement l’absence,
qui hurle plus fort que le vent.
Mélissa,
ne porte pas seule la faute de ton souffle.
La vraie tempête est au village d’accueil,
là où l’État s’effrite sous les pluies,
là où les dirigeants sans conscience
naviguent sur les eaux de l’oubli.
Ils n’ont ni plan, ni politique,
ni digue pour contenir la honte.
Chaque cyclone nous surprend —
comme si c’était le premier,
comme si la misère n’avait pas d’habitude,
comme si nos morts n’avaient pas de mémoire.
Alors blâme, oui, blâme Mélissa
pour sa rage qui n’a fait que frôler,
mais blâme plus fort encore
ce pouvoir sans âme,
ces visages repus de discours,
ces fossoyeurs de la dignité nationale
qui enterrent l’avenir avec les corps.
Haïti,
combien de fois faudra-t-il s’effondrer
pour comprendre qu’un peuple
ne se protège pas avec des mots ?
Il faut des bras formés,
des routes qui résistent,
des collines qui respirent encore,
et des institutions qui se tiennent debout —
même quand le vent hurle,
surtout quand le vent hurle.
Car chez nous,
il suffit d’une pluie
pour défaire un pays.
Et d’un silence officiel
pour achever les survivants.
Mélissa n’a fait qu’effleurer.
C’est nous qui avons tout laissé tomber
Pierre R. Raymond





