L’un des oubliés de l’histoire universelle.
Par Islam Louis Etienne.
(Économiste, Professeur d’université, Président en exercice du COSOS de Port -au-Prince…et Consultant au Conseil Supérieur de Septent.)
« Tout âge porte ses fruits, il faut savoir les cueillir. »
Raymond Radiguet
Dans le pays de Jean Jacques Dessalines, existe et se développe une ville en particulier qui s’est illustrée par la création de deux phares musicaux dont les réflexions, la pensée mélodique et l’envergure rythmique ont atteint les recoins les plus reculés de notre hémisphère : c’est la ville du Cap Haïtien. Elle a nourri un lien très fort et très étroit avec son histoire, avec sa culture et avec ses valeurs surtout lorsqu’elles sont le fruit de ses entrailles et le produit de sa propre chair.
Sur les Traces de Jazz Youyou, Ensemble Symphonia au Lycée Philippe Guerrier du Cap, Le Trio Astoria encore au Lycée et le Quatuor Septentrional…Le Jazz Septentrional (1948), puis l’Orchestre Septentrional (1952) continue de faire son bonhomme de chemin sans détours et discontinuité jusqu’en 2021 (73 ans) …
Et l’Orchestre Tropicana sur les brisées du Jazz Capois (1941) et L’Orchestre Caraïbe (1955) avance lui aussi à pas feutrés mais assurés (58 ans) .
Et L’Orchestre Septentrional, aujourd’hui,
Malgré son âge avancé, n’est pas encore reconnu, dans le livre Guinness des Records , comme le troisième plus ancien orchestre du monde. Au niveau interne, responsabilité étatique et citoyenne, aucun effort n’a été consenti pour vendre le produit dans le monde international. Si on devait classer les trois plus grands orchestres du monde comme dans les jeux olympiques, l’orchestre Septentrional devrait se trouver sur la tribune d’honneur. Définitivement !
L’haïtien, qui n’est pas vraiment du Nord et illettré en sons musicaux, n’éprouve encore aucune fierté à parler de Septent comme un produit de qualité faisant honneur au pays à l’image de Barbancourt, du Selle Bride du Cap, des orchestres Tropicana et Tabou Combo, de la Citadelle et de la cigarette comme il faut. N’est-ce pas la vocation première de Guinness est d’enregistrer les records sans préjugés, sans discrimination et de les faire connaitre au monde entier. !
À retenir, les orchestres pouvant être inclus dans le grand livre des records culturels et musicaux d’existence.
– Le premier est la Sonora de Cuba fondée le 12 Janvier 1924 à Barrio Ojo de Agua proche de la ville de Matanzas. Culturellement et démographiquement, elle est située dans la zone africaine de Cuba. Initialement le groupe s’appelait « Tuna Liberal » pour des raisons politiques. Ses deux co-fondateurs sont Valentin Cane (guitariste, percussionniste, chanteur et compositeur) et Pablo Vazquez qui était bassiste.
La Sonora Matencera est une référence mondiale solide de la musique populaire de dance latino-américaine. Les musicologues la considèrent comme un icône de la musique populaire avec des artistes mondialement connus comme Bienvenido Granda, Daniel Santos, Myrta Silva et Celia Cruz. L’orchestre détient toujours le record de longévité mondiale.
– Le second est l’orchestre « Tabajara », fondé dans l’Etat du Paraíba (Brésil) en 1934. Les musiciens jouent ensemble depuis plus de 70 ans sous la baguette du chef d’orchestre et clarinettiste Severino Araujo. Il a su développer avec ses musiciens une manière d’interpréter la musique populaire qui fascine tous ceux qui s’en approchent. Il est impossible pour les spectateurs de ne pas danser lorsqu’ils jouent.
Par ailleurs, les mélodies restent longtemps sur les lèvres de ceux qui ont assisté à l’une de leurs exécutions. C’est une musique qui réjouit les cœurs, sans doute parce qu’elle émane d’une véritable vie de famille ! La musique populaire brésilienne est en effet fortement empreinte de cette nostalgie, qui ravive au cœur de ceux qui l’écoutent et vibrent en éprouvant une soif à l’infini.
Le troisième est l’Orchestre Septentrional d’Haïti, la Boule de Feu Internationale, fondée le 27 Juillet 1948 dont le maestro fondateur fut le guitariste Jean Menuau. Septent est un orchestre qui attire la curiosité non seulement des mélomanes mais encore des chercheurs et des protecteurs des patrimoines matériels et immatériels du monde entier en particulier.
Un oubli qui porte préjudice.
Les institutions chargées de faire ce travail dans le monde ne devaient pas se faire prier, ni attendre pour donner à Haïti l’élan, la dimension et le support nécessaires pour que Septent et son environnement deviennent des patrimoines de l’humanité (l’orchestre, le FEU VERT, le Boulevard Septentrional et le MUSÉE Septentrional). Des projets dont la faisabilité ne peut être questionnée…
Maintenir en vie une institution musicale comme l’Orchestre Septentrional de manière continue et ininterrompue pendant plus de 72 ans, est un record jamais réalisé dans les Antilles Francophones…Il a joué et joue encore de la bonne musique avec uniquement des capitaux privés dans un pays pauvre aussi difficile qu’Haïti.
Cette réalisation historique est un acte de courage extraordinaire qui doit traverser les mémoires ; un exploit remarquable qui doit être porté sur la carte touristique internationale, C’est un grand défi pour l’humanité.
Au point de vue musical, aucun temps n’a produit de plus grandes idées, de plus grandes passions, de plus grands caractères et de plus grands hommes qui aient créé avec les mains vides ; une discipline de fer et sans aucun support économique, une œuvre remarquable de si grande importance.
Saluons avec déférence ceux qui furent les initiateurs, les pionniers et les premiers sacrifiés à l’autel de l’incertitude, de l’indifférence et de l’ingratitude ; les plus grands peuvent-être parmi les inconnus ; cette poignée de citoyens prestigieux, conséquents mais anonymes, isolés et relégués dans un coin de la ville ! Ils ont emporté avec eux les destinées de la nation et de la culture nationale.
Septent entretient la mémoire de l’Haïtien à travers son esprit de pionniers et d’entraide, que Michel Anfray dans son essai intitulé Le Miroir aux Alouettes définit comme « le sens de l’intérêt général, la passion du bien public, le souci du peuple, le projet de communauté nationale, le désir de rassembler les Haïtiens dans un même projet, l’envie de grandeur pour tous, le sens de l’Histoire, le devoir de la longue mémoire, la passion pour Haïti qui est une force et non un sang, une énergie et non une race, une volonté et non une couleur de peau »
Pour des questions de goût, de stratégie et de fanatisme on peut ne pas aimer la saveur septentrionale. On peut certainement faire d’autres choix ; mais par respect pour son œuvre de si grande envergure et pour sa participation à l’avancement de la culture nationale, l’orchestre Septentrional comme symbole, comme image, comme porte-étendard, comme aînés, comme référence et comme doyen de la musique haïtienne mérite une attention particulière et une certaine appréciation.
A l’occasion de ce 27 Juillet, date à laquelle il va souffler une nouvelle bougie dans le livre de sa vie, tout en mettant l’accent sur la valeur de l’humain, la valeur de l’avenir, la valeur de l’espérance et la valeur de la foi, nous joignons notre voix à celle de ses supporteurs pour lui demander d’aller encore plus haut et plus loin pour le triomphe de la culture nationale.
Nous souhaitons que la fuite du temps sonne non seulement la mélodie des souvenirs passés en sa compagnie qui ont fait tache d’huile dans nos vies mais marque le rythme joyeux d’une vie intense en émotions, toujours prête à repartir de zéro à la découverte du monde et de ses merveilles.
Nous associons notre voix à celle de ses supporteurs, de ses fanatiques, de ses admirateurs, de ses adversaires et ses détracteurs pour lui présenter nos vœux de bon anniversaire, de longévité et de succès continu. Un anniversaire qu’on aurait dû fêter avec faste et dans l’allégresse par toutes les couches de la population, mais hélas, Il risque de passer inaperçu comme une lettre à la poste ! Nous rappelons à cette occasion le conseil d’un sage chinois :
Quel que soit votre fortune, votre rang social et votre train de vie ; vous avez besoin de quelqu’un pour vous conduire au cimetière. Vivre sans les autres est une véritable utopie. Cultiver la tolérance et la contradiction, c’est choisir de vivre heureux. Pour vivre heureux, il faut apprécier la valeur de chaque jour, de chaque moment, de chaque personne et de chaque institution «
Bonne fête Septent ; que tes fruits continuent à mûrir et à dégager ce parfum exquis qui fait honneur au pays et la fierté des haïtiens ! Si la jeunesse est niaise, c’est faute d’avoir été paresseuse. Ce qui infirme nos systèmes d’éducation, c’est qu’ils s’adressent aux médiocres, à cause du nombre. Pour un esprit en marche, la paresse n’existe pas. Je n’ai jamais plus appris que dans ces longues journées qui, pour un témoin, eussent semblé vides, et où j’observais mon cœur novice comme un parvenu observe ses gestes à table.
Islam Louis Etienne
Juillet 2021





Très beau texte !