L’ingérence étrangère, un traumatisme haïtien à déraciner !

L’ingérence étrangère, un traumatisme haïtien à déraciner !

BOUKAN NEWS,11/29/2025 – Peu importe ce que l’on pense de Fritz Jean, il a marqué l’histoire le mardi 25 novembre 2025 en condamnant publiquement l’intervention indigne du Canada et des États-Unis dans les affaires de l’état souverain d’Haïti.

Depuis l’époque du dictateur François Duvalier, aucun chef d’état haïtien n’a eu le courage d’expulser un ambassadeur d’une grande puissance installée en Haïti. En 1963, à la suite d’un affrontement direct avec l’ambassadeur américain Raymond Thurston, Duvalier l’a proclamé « persona non grata ». Cette décision a entraîné une profonde crise diplomatique entre Washington et Port-au-Prince, mais Duvalier n’est jamais revenu sur sa position.

À deux reprises, en 1991 puis en 2004, Jean Bertrand Aristide s’est trouvé face à des circonstances où il aurait pu s’opposer fermement à l’ingérence de la diplomatie américaine, française et canadienne et affirmer la souveraineté d’Haïti. Cependant, il n’a pas saisi ces opportunités pour tenir tête aux représentants étrangers, ce qui l’a conduit à l’exil lors de ces deux événements majeurs de l’histoire politique haïtienne.

Quant à Jovenel Moïse, après avoir initialement soutenu les intérêts étrangers en Haïti, au cours du dernier moment de son mandat il a tenté une forme de résistance aux promesses fallacieuses de l’international. Toutefois, il n’a pas pris la décision de dénoncer publiquement les pressions exercées par la communauté internationale et les oligarques du pays contre son gouvernement. Son silence face à ces influences et à la complexité des enjeux politiques s’est soldé tragiquement par son assassinat, survenu dans la nuit du 7 juillet 2021, un acte qui a profondément marqué la nation haïtienne.

Cependant, Fritz Jean a opté pour une tout autre attitude. Lors d’un point de presse, il s’est insurgé avec force contre la pression excessive exercée par les États-Unis et le Canada afin de l’empêcher de démettre l’actuel premier ministre, Didier Fils-Aimé. Il a dressé un constat sévère de la gouvernance à la primature, soulignant l’échec à enrayer l’insécurité, la hausse du coût de la vie ainsi que l’emprise persistante de l’oligarchie sur les ressources nationales.

Dans cette logique, Fritz Jean a également dévoilé des informations troublantes, révélant que les intérêts de la dette nationale étaient passés de 400 millions à 5 milliards de gourdes, alors même qu’aucun nouvel emprunt n’avait été contracté par l’État haïtien. Il a insisté sur l’existence de contrats opaques, notamment celui passé avec la société de sécurité « Vectus Global », dirigée par Erick Prince, sans toutefois préciser le montant de l’accord, bien que des rumeurs évoquent une prime mensuelle de 10 millions de dollars. Il a aussi mentionné l’allongement du contrat avec Caribbean Port Services (CPS), prolongé à 29 ans au lieu des 9 ans initialement prévus.

Les diplomates américains et canadiens en poste en Haïti se sont rendus coupables d’un acte d’une gravité inédite, portant gravement atteinte à la qualité des relations entre les deux nations. Si l’ingérence étrangère dans les affaires haïtiennes n’a rien de nouveau, rarement a-t-on observé une telle légèreté et un tel mépris des usages diplomatiques que lors de cette intervention, qui bafoue ouvertement toutes les règles établies en la matière.

Les neuf membres du conseil présidentiel ont subi d’intenses pressions, en particulier ceux impliqués dans le scandale de corruption de la Banque Nationale de Crédit (BNC). Les ambassadeurs n’ont pas hésité à évoquer cette affaire pour les persuader de maintenir Didier Fils-Aimé à son poste. Ces membres du CPT, souvent désignés comme des « braqueurs », rencontrent également des difficultés en matière de visas : Smith Augustin, averti que son visa américain expirant en février ne sera pas renouvelé, s’est vu refuser par le Canada deux demandes pour rendre visite à son enfant né récemment à Montréal ; Vertilaire, après avoir sollicité un visa américain, a été informé qu’il devrait se soumettre à une interview comme tout le monde, ce qui l’a poussé à renoncer à sa démarche ; quant à Gerald Gilles, il ne possède aucun visa.

À la suite de cet incident diplomatique majeur, il serait légitime que les États-Unis et le Canada prennent la responsabilité de rappeler leurs ambassadeurs en Haïti. Un tel geste s’imposerait afin de reconnaître publiquement la gravité de l’atteinte portée à la souveraineté d’un pays ami et allié depuis plus de deux siècles. Ce rappel constituerait non seulement une mesure de réparation symbolique, mais également un signal fort à la communauté internationale sur la nécessité de respecter les principes fondamentaux du droit international et de l’autodétermination des peuples.

Au-delà des conséquences immédiates sur les relations bilatérales, ce rappel diplomatique encouragerait une réévaluation des pratiques d’ingérence et ouvrirait la voie à un dialogue plus équilibré, fondé sur le respect mutuel et la coopération constructive. Il permettrait aussi d’apaiser les tensions internes en Haïti, en montrant que les grandes puissances sont prêtes à admettre leurs erreurs et à restaurer la confiance entre les deux nations. Après des décennies de partenariat, il est impératif que l’amitié et l’alliance historiques entre Haïti, les États-Unis et le Canada reposent sur une base de respect et de transparence, condition sine qua non pour envisager un avenir commun harmonieux.

Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est que les autorités haïtiennes, par l’intermédiaire du ministère des Affaires étrangères, n’ont émis aucun communiqué pour dénoncer les agissements contraires aux usages diplomatiques de la part des représentations américaine et canadienne en Haïti.

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