Les impacts de l’insécurité sur l’éducation en Haïti

Les impacts de l’insécurité sur l’éducation en Haïti

 

« Les gangs armés infligent au pays des blessures profondes qui mettront des décennies à guérir. Leur impact va bien au-delà de la criminalité, car ils s’attaquent sans scrupule aux lieux de savoir, aux églises et aux hôpitaux, plongeant la société dans l’obscurantisme »

Joel Leon

BOUKAN NEWS, 09/30/2025 – Dès mon enfance, j’ai toujours porté un vif intérêt à l’éducation. En grandissant, j’aspirais à devenir écrivain et journaliste, ce qui me distinguait de beaucoup de jeunes de ma génération. Ainsi, à 22 ans, avec mon ami et frère de cœur, Pierre Frédérique, aujourd’hui disparu, nous avons pris la décision de créer une école dans notre quartier afin d’ouvrir les portes du savoir aux plus démunis. L’accès à cette éducation était fixé à 100 gourdes pour toute l’année scolaire.

À l’approche de la rentrée scolaire prévue pour ce premier octobre, il me semble essentiel d’exprimer mon opinion sur les difficultés que rencontrent actuellement les habitants des départements de l’Ouest, de l’Artibonite et du Centre. En particulier, les parents qui résident dans les zones les plus touchées se voient contraints d’envoyer leurs filles et fils à l’école dans un climat marqué par les crépitements quotidiens de balles, la menace constante d’enlèvements, ainsi que la réalité tragique des exécutions et des massacres indiscriminés. Cette situation d’insécurité permanente met en péril non seulement l’accès à l’éducation, mais aussi l’intégrité physique et psychologique des élèves et de leurs familles.

Le domaine de l’éducation subit systématiquement les premiers contrecoups lors des périodes de troubles dans tous les pays. Que ce soit en temps de guerre civile, d’insurrections populaires, de bouleversements révolutionnaires, de répressions violentes, de catastrophes naturelles, d’attentats terroristes ou de violences perpétrées par des groupes armés, les établissements scolaires et universitaires sont toujours les premiers à devoir suspendre leurs activités. En Haïti, cette réalité se confirme face à l’escalade des crimes orchestrés par le groupe armé, ironiquement nommé « Viv Ansanm ».

Port-au-Prince, la capitale haïtienne, est aujourd’hui sous la domination de groupes armés qui contrôlent plus de 80 % de son territoire. Ce constat est particulièrement préoccupant puisque cette ville constitue le cœur politique du pays, abritant les principaux organes de l’État tels que la présidence, le gouvernement, le parlement, la Cour de Cassation, ainsi que les ambassades et les sièges d’organisations internationales.

Au-delà de son rôle politique, Port-au-Prince occupe une place centrale dans l’économie nationale. On y retrouve les principales institutions bancaires (BRH, BNC, UNIBANK, Digicel, Natcom…), les plus grands ports ainsi que l’aéroport international, qui est actuellement fermé.

Sur le plan éducatif, médiatique et culturel, la capitale demeure une référence incontestée. Les plus grandes universités, dont l’Université d’État d’Haïti et Quisqueya, y sont implantées, tout comme les bibliothèques et les centres de recherche qui forment la majorité des professionnels haïtiens. La concentration des grands médias (télévisions, radios, journaux), des institutions culturelles (théâtres, cinémas, galeries d’art, musées) et des lieux de divertissement (night clubs) fait de Port-au-Prince le principal pôle intellectuel et artistique du pays.

Le pays recense 78 établissements d’enseignement supérieur, dont près de 20 % sont situés à Port-au-Prince. À l’échelle nationale, plus de 900 écoles ont dû fermer leurs portes en raison de la violence et des actes criminels perpétrés par les gangs. Par ailleurs, Haïti traverse aujourd’hui une crise migratoire majeure, avec plus d’un million de personnes contraintes de quitter leur domicile, dont environ 500 000 enfants en âge d’aller à l’école.

L’ensemble de ces bouleversements affecte profondément le système éducatif. Un grand nombre d’enfants se voient empêchés de fréquenter l’école et perdent également l’accès aux repas servis en cantine, dans un pays gravement touché par la faim, où 5,7 % de la population est en situation de crise alimentaire. Ainsi, près de 2,1 millions de personnes se trouvent actuellement en phase 4 d’urgence, ce qui signifie qu’elles subissent une restriction extrême de leur approvisionnement alimentaire.

Cette privation d’éducation et de repas scolaires crée une double vulnérabilité chez les enfants haïtiens. Non seulement ils sont privés d’un espace d’apprentissage sécurisé, mais ils perdent également une source essentielle de nutrition fournie habituellement par la cantine scolaire. Dans ce contexte, l’école ne représente plus seulement un lieu d’instruction, mais aussi un refuge contre la faim et la précarité. L’absence de ces repères fondamentaux aggrave la marginalisation sociale et expose les plus jeunes à des risques accrus d’exploitation, de recrutement par des groupes armés et de troubles de santé physique et mentale.

La conjonction de l’insécurité et de l’insuffisance alimentaire met ainsi en péril non seulement le présent, mais aussi l’avenir de toute une génération, menaçant de creuser encore davantage les inégalités et de compromettre durablement le développement du pays.

Privés d’accès à l’école, de nombreux enfants deviennent particulièrement vulnérables et risquent d’être enrôlés par les groupes armés. Cette exclusion du système éducatif les expose directement à des formes multiples de violence, notamment sexuelle, ainsi qu’à des agressions physiques, des actes de torture et des viols. Par ailleurs, face à la crise humanitaire et à l’insécurité grandissante, plusieurs établissements scolaires, au lieu d’accueillir des élèves, servent désormais de refuges temporaires pour des milliers de personnes déplacées.

Les enseignants ne sont pas épargnés par cette situation dramatique : eux aussi sont fréquemment victimes d’intimidations, d’agressions et de graves exactions, les poussant bien souvent, malgré eux, à abandonner leurs postes et à quitter les salles de classe. Ce cercle vicieux accentue la détérioration du climat éducatif et compromet gravement l’avenir de toute une génération.

Le traumatisme psychologique qui frappe les élèves et étudiants se manifeste de façon profonde et visible dans leurs voix, leurs regards, leurs cris, jusqu’à perturber leur sommeil. Nuit et jour, les détonations continues des armes de guerre résonnent, créant un climat d’angoisse permanent qui érode leur sentiment de sécurité et les prive de tout repos. Privés d’électricité, ils n’ont même plus la possibilité de se distraire devant un téléviseur ou d’écouter la radio pour s’évader, ne serait-ce qu’un instant, du chaos ambiant. Pour ces enfants déplacés, aucune activité ludique ou éducative n’est accessible, les condamnant à une promiscuité insalubre et déshumanisante, conséquence directe de la violence aveugle et destructrice imposée par les gangs armés. Ce contexte de peur continuelle et d’extrême précarité aggrave leur détresse mentale, compromettant durablement leur développement psychologique et social.

Les gangs armés infligent au pays des blessures profondes qui mettront des décennies à guérir. Leur impact va bien au-delà de la criminalité, car ils s’attaquent sans scrupule aux lieux de savoir, aux églises et aux hôpitaux, plongeant la société dans l’obscurantisme. Les personnes vivant sous leur emprise, confrontées chaque jour à leurs violences, souffrent en permanence, tant sur le plan physique que psychologique. On peut craindre qu’à l’avenir, de nombreux citoyens se retrouvent marqués intellectuellement et moralement, prisonniers du désespoir d’un État incapable de remplir sa mission première : garantir la sécurité à ses habitants.

Alors que la réouverture des écoles en Haïti est plus nécessaire que jamais, j’adresse tous mes vœux de courage aux parents, aux élèves et étudiants, aux enseignants et aux responsables des établissements scolaires et universitaires. Que Dieu vous protège !

Joel Leon

 

One comment

  1. L’insécurité et les gangs sont des symptômes récents d’un mal de fonds qui mine l’éducation haïtienne depuis des décennies.

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