Haïti : le carnaval des oligarques
BOUKAN NEWS, 10/10/2025 – Haïti fait une expérience unique dans son histoire. C’est la première fois que directement l’oligarchie haïtienne s‘accapare de tout le pouvoir sans avoir à tirer une cartouche. Ce qu’elle ne pouvait réaliser sous les gouvernements antérieurs, spécialement de Martelly a Jovenel Moïse, l’atteint aisément pendant cette singulière transition de 9 membres.
Les oligarques haïtiens ont réussi à transformer le système en une véritable superstructure, c’est-à-dire un réseau d’éléments étroitement liés. Ils exercent une mainmise sur le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), où ils contrôlent six membres sur sept, sans compter leur influence sur la Primature et la Police Nationale d’Haïti. Leur emprise sur le secteur bancaire est également considérable : ils détiennent 59 % des actifs de la Banque Nationale de Crédit (BNC), établissement public, ainsi que la totalité des banques privées. Cette domination s’étend aussi aux ports du pays, à l’aéroport et au commerce tout le long de la frontière avec la République dominicaine. Il ne faut pas oublier le port stratégique de Lafito, qui fait également partie de leur sphère d’influence.
Les oligarques finissent par interconnecter l’économie, la politique et les forces publiques avec une parfaite désinvolture et d’irrespect afin d’accomplir leurs objectifs mercantiles opposés à ceux de la nation. Plusieurs analystes, en cherchant à comprendre et à décrypter cette dynamique oligarchique, n’hésitent pas à la qualifier de mafia. Ils établissent même un parallèle avec la célèbre Cosa Nostra, la mafia italienne qui sévissait à Chicago au cours de la première moitié du XXe siècle.
Pour préserver leur domination, les oligarques utilisent toutes sortes de stratagèmes néfastes : pratiques occultes, assassinats, enlèvements, et autres méthodes pour maintenir leur contrôle absolu sur le territoire. Leur pouvoir se consolide grâce à la complicité de certains politiciens issus de la classe moyenne, qui acceptent de collaborer en échange de maigres avantages personnels. Par essence, l’oligarchie représente un fléau pour Haïti, et voici pourquoi !
De manière générale, une oligarchie fonctionne comme un cercle restreint et fermé, fondé sur des liens familiaux, ethniques ou claniques. En Haïti, cette réalité s’illustre par le fait que les oligarques privilégient les mariages et les affaires entre membres de leur propre groupe, manifestant souvent une attitude hautaine et méprisante envers le reste de la population. Ils s’opposent systématiquement à toute personne extérieure qui tente de s’insérer dans le monde des affaires, refusant l’ouverture à ceux qui n’appartiennent pas à leur cercle. Par ailleurs, l’oligarchie haïtienne est principalement issue de familles d’origine moyen-orientale, installées dans le pays depuis la fin du XIXe siècle, mais qui, malgré plus de cent cinquante ans de présence, peinent à s’approprier la culture et la mentalité haïtiennes. Beaucoup continuent de s’identifier à leurs racines syriennes, libanaises ou égyptiennes. Par exemple, Bigio, d’origine juive, se considère davantage juif qu’haïtien.
Il est important de distinguer l’oligarchie de la bourgeoisie dans son ensemble, car si la première se compose majoritairement de bourgeois, tous les bourgeois ne sont pas nécessairement des oligarques. Les oligarques, eux, exploitent leur proximité avec le pouvoir politique pour accroître démesurément leur richesse, principalement grâce à des pratiques de corruption généralisée. En Haïti, ils focalisent leurs activités sur le commerce d’importation et d’exportation, s’abstenant de participer à la création de valeur ajoutée locale. Ce choix se traduit par une absence de création d’emplois et de biens pour la population. L’impact négatif de cette stratégie sur le pays ne les préoccupe guère ; au contraire, ils tirent profit de la situation en utilisant des groupes marginalisés, devenus entre-temps des gangs, pour protéger leurs intérêts économiques. D’ailleurs, la genèse des gangs en Haïti leur est attribuée. Leur pouvoir était tel qu’entre 2004 et 2005, ils ont même approvisionné la Police Nationale d’Haïti en armes et en munitions.
Les bourgeois, issus pour la plupart de la croissance économique, notamment dans les centres urbains, reconnaissent leur rôle historique en tant que générateurs d’emplois et producteurs de biens et de richesses. Ils tirent parti de leur position pour exercer une influence sur la sphère politique, économique et culturelle, tout en évitant de s’engager dans la corruption à grande échelle. Ils s’acquittent de leurs obligations fiscales et respectent les règles de la concurrence. Selon Karl Marx, la bourgeoisie constitue la classe du capitalisme qui exploite les travailleurs. Conscients que leur domination repose sur un certain équilibre, les bourgeois veillent à garantir un niveau minimal de subsistance aux ouvriers, assurant ainsi une stabilité politique et sociale essentielle à la pérennité de leur pouvoir. Cette attitude les distingue nettement de l’oligarchie.
Comme évoqué précédemment, les oligarques adoptent un comportement destructeur, comparable à celui de prédateurs qui ravagent tout sur leur passage. Cette attitude explique pourquoi les nations soumises à la domination oligarchique peinent considérablement à sortir de la pauvreté et du retard économique. Haïti illustre parfaitement cette réalité, stagnante depuis plus de deux cents ans dans une misère profonde. À chaque tentative de réforme ou de relance économique visant à briser le statu quo, l’oligarchie oppose une résistance farouche. Les deux coups d’État perpétrés contre Jean Bertrand Aristide, 1991 et 2004, ainsi que l’assassinat de Jovenel Moïse en 2021 sont des exemples révélateurs de cette stratégie d’obstruction menée par les oligarques.
En définitive, il devient urgent de mettre un terme à l’emprise de l’oligarchie sur l’économie haïtienne, une emprise qui asphyxie toute possibilité de développement et prive la population des conditions de vie les plus élémentaires. Ce texte se veut également un appel à la lucidité adressé aux oligarques, afin qu’ils renoncent à la corruption et choisissent enfin de respecter les principes démocratiques ainsi que les règles d’un marché équitable. À défaut de quoi, ils s’exposent à tout perdre face à la colère d’un peuple en quête de justice et de richesse.
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