9e Congrès Panafricain: Haiti et le Panafricanisme (Discours de Fritz Deshommes)

9e Congrès Panafricain : Haïti et le Panafricanisme

(Discours de Fritz Deshommes)

Mesdames, Messieurs les autorités en leur rang, grade et qualité ;

Chers collègues panelistes,

Chers membres de l’assistance,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais, en tout premier lieu, présenter mes plus vives félicitations au Gouvernement du Togo et à l’Union Africaine pour l’organisation de ce 9e Congrès Panafricain. J’en profite pour remercier de l’invitation et pour dire mon bonheur d’être avec vous en cette circonstance exceptionnelle.

Au moment de prendre la parole devant cette auguste assemblée, tant de pensées, tant d’idées, tant de sentiments s’entrechoquent en moi.

Il y a d’abord l’émotion de me retrouver sur cette terre d’Afrique, mon Alma Mater, d’où sont venus nos ancêtres dans les conditions que l’on sait.

Il y a aussi toute la fierté de venir de ce coin de l’Atlantique, de ce pays dont l’histoire, la culture, les valeurs, la spiritualité lui ont valu d’être reconnu comme « la fille aînée de l’Afrique ».

Il y a surtout toutes ces réminiscences qui me reviennent et qui m’interpellent rien qu’à entendre le mot « Panafricanisme ».

Je ne puis m’empêcher de me rappeler en effet que le Panafricanisme est né dans mon pays, Haïti, au moment où le mot n’existait pas encore.

Comment ne pas penser à cette cérémonie du Bois-Caïman du 14 août 1791, cet authentique Congrès Panafricain avant la lettre, qui réunissait plus de 200 leaders esclaves représentant un nombre incalculable d’ethnies en provenance de plusieurs régions africaines, pour lancer la révolte générale des captifs de la traite transatlantique et la lutte systématique et déterminée contre l’oppression, la déshumanisation, l’injustice.

Comment ne pas penser au premier janvier 1804 qui a consacré la victoire complète de la première et la seule révolution d’esclaves triomphante, de ces esclaves sortis tout droit de la matrice de l’Afrique éternelle, nourris de cet esprit de liberté, de solidarité, d’humanisme, de dignité, qui caractérisera le Panafricanisme.

Et depuis, le monde n’est plus comme avant. L’ordre international basé sur l’esclavage, le colonialisme, le racisme est sérieusement mis à mal. Les droits humains, auparavant géographiquement et épidermiquement circonscrits, accèdent à l’universalité. Et la Charte des Nations Unies se fera le devoir de consacrer le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, entre autres, lesquels deviendront des droits fondamentaux de tous les hommes, de toutes les femmes de tous les continents, sans distinction de race, de couleur, de fortune, de religion, de langue, de culture.

Haïti ne se contentera pas de se libérer elle-même. Elle volera au secours de ses voisins de l’Amérique Latine et des Caraïbes pour l’obtention et la sauvegarde de leur indépendance et pour la libération des esclaves. Pendant longtemps, il n’existait qu’Haïti, dans le concert des nations, pour tenir le flambeau de la lutte contre les discriminations, contre l’apartheid, en faveur du sauvetage de tous les damnés de la terre et de l’autodétermination des peuples, surtout des peuples noirs. De l’Ethiopie à la Libye, du Congo à l’Afrique du Sud.

Et si aujourd’hui, la Première République Noire du Nouveau-Monde se trouve dans cet état lamentable que l’on connaît, méconnaissable, meurtrie, appauvrie, enchaînée, étranglée, réduite à sa plus simple expression et même en deçà, elle ne fait que payer le prix de son audace, d’avoir su se libérer, libérer les autres, changer le cours de l’histoire et délégitimer tous les narratifs sur la supériorité intrinsèque des uns, la damnation éternelle des autres, sur le droit naturel de certains à disposer gratuitement de la force de travail d’une majorité.

Mais ce que les maîtres du monde ignorent, c’est que ce sens de la liberté, de la dignité et de l’altruisme, Haïti le tient de son africanité et des valeurs dont son Alma Mater l’a nourrie. C’est pourquoi ils s’étonnent de constater, en ce premier quart du XXIe siècle, que patiemment, progressivement l’Afrique prend le relais, se libère, se construit et se renouvelle chaque jour en dignité, en fierté, en souveraineté, en solidarité, en panafricanisme. C’est pourquoi ils s’étonnent de ce que, lentement mais sûrement, l’Afrique, berceau de l’humanité, se positionne sérieusement pour en être l’avenir. C’est sans doute l’Afrique qui, par ses ressources, par la jeunesse et le dynamisme de sa population, par sa diaspora riche et diverse, par ses valeurs, par sa spiritualité, libérera l’humanité et l’écartera du précipice dans lequel les maîtres actuels du monde semblent vouloir la conduire.

En attendant, Haïti se félicite des démarches entreprises par l’Union Africaine, la CARICOM et autres instances revendicatives pour obtenir réparation des torts subis à l’occasion de l’esclavage et de la colonisation. A ce sujet elle tient à compléter ce dossier en y insérant sa quête de restitution de la rançon de l’indépendance, cette forte somme qu’elle a due, sous forte menace militaire, accepter de verser pendant plus d’un siècle à l’ancienne puissance coloniale. Ce n’est pas ici le lieu de rappeler la lourde hypothèque que cette rançon a mise sur le destin d’Haïti et aussi de l’Afrique et de la Caraïbe. Nous voulons seulement solliciter ici, au nom du Comité National Haïtien des Restitutions et Réparations que, dans les résolutions de ce 9e Congrès, ce dossier de la restitution de la rançon de l’Indépendance Haïtienne figure explicitement et en bonne place et obtienne l’appui et la solidarité de tous nos frères et sœurs panafricains et de tous les participants à cette rencontre historique. Là encore, Haïti se propose de montrer le chemin, de tracer la route. Car cette problématique de la restitution de la rançon de l’indépendance haïtienne pourrait constituer la porte d’entrée à la concrétisation des réparations qui concernent toute l’Afrique, toute la Caraïbe, y compris Haïti et tous les afrodescendants.

Enfin, nous tenons à réaffirmer notre volonté de nous rapprocher autant que possible de l’Alma Mater, des institutions africaines et afro descendantes, qu’elles soient publiques, privées ou de la société civile, comme il se doit dans le cadre d’un panafricanisme authentique, renouvelé et actualisé.

Je vous remercie de votre attention.

Fritz Deshommes 

Membre du Comité National Haïtien des Restitutions et Réparations (CNHRR)

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