Les politiques de développement international à travers le temps : Trois principaux modèles théoriques qui les ont influencées

Les politiques de développement international à travers le temps : Trois principaux modèles théoriques qui les ont influencées 

Boaz Anglade

Florida, USA, 02/17/2023 – Au fil du temps, les politiques de développement international ont été influencées par différents concepts théoriques, issus de diverses prémisses, qui se sont appliqués à définir les stratégies de développement. Ces influences ont produit différents modèles opérationnels pour les institutions financières multilatérales, notamment le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale. Ces modèles peuvent être compris comme la façon de penser de ces institutions dans la recherche de solutions aux divers problèmes qui empêchent ou entravent le développement dans le monde.

Cet article dresse un bref historique des modèles opérationnels de développement international des institutions financières multilatérales depuis leur création jusqu’à nos jours. Il montre que les politiques visant le développement international étaient non seulement façonnées en fonction des contextes sociaux, économiques et politiques de l’époque, mais aussi influencées par des modèles théoriques.

Les trois principaux modèles théoriques ayant influencé la réflexion des institutions financières multilatérales sont identifiés comme suit : le développementalisme libéral (de 1944 jusqu’à la fin des années 1970) ; le modèle néolibéral (de la fin des années 1970 au milieu des années 1990) et le nouveau modèle économique institutionnel (du milieu des années 1990 à nos jours).

Le Développementalisme Libéral

Les institutions de Brettons Wood (dont le FMI et la Banque Mondiale font partie) ont été créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à une époque où l’État jouait un rôle primordial dans la gestion économique et sociale. L’un des principaux objectifs de la création du système de Bretton Woods (1944) visait à éviter de nouvelles crises économiques et à réduire le désordre et l’instabilité économique de l’entre-deux-guerres. Le système de Bretton Woods était basé sur une croyance dans le libéralisme économique, bien qu’au prix d’interventions fortes du gouvernement, pour sauvegarder la stabilité et la durabilité du marché.

Durant cette période, dans un contexte de guerre froide, deux modèles institutionnels ont été largement adoptés par différents pays. En Occident, les pays à haut niveau de développement industriel et à système politique libéral-démocratique, comme l’Europe occidentale et les États-Unis, ont opté pour un modèle de l’État-providence, tandis qu’à l’Est, le choix s’est porté sur un modèle socialiste. Il est vrai que l’État-providence n’était pas un modèle unique ; il comptait plusieurs variantes. Cependant, tous les modèles allouaient à l’État le contrôle fondamental et administratif de l’ordre social et économique.

À cette époque, le modèle de développement des institutions financières multilatérales envisageait en effet l’État comme jouant un rôle régulateur de l’économie et protagoniste des politiques de développement. Les banques de développement soutenaient le secteur public des nations sous-développées en accordant des prêts pour les infrastructures et la production, par exemple, ainsi que la reconstruction des pays détruits par les guerres. Des investissements accrus ont également été réalisés dans des domaines tels que l’agriculture, les soins de santé primaires et l’éducation de base.

Le Néolibéralisme

Les années 1970 fut une période troublée pour le système financier international avec la fin de la convertibilité du dollar américain en or (1971), les chocs pétroliers (en 1973 et 1979), la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis pour contenir l’inflation domestique, ainsi que la baisse des prix des matières premières. Ces événements et ces mesures ont entraîné l’augmentation drastique de la dette extérieure des pays en développement, puisque ces pays dépendaient du crédit des banques privées étrangères pour se développer [1]. Dans les années 1980, l’intervention économique de l’État, jugée nécessaire après la Seconde Guerre mondiale, était désormais considérée comme un obstacle au développement [2].

Ainsi, en 1979, les institutions financières multilatérales ont fait leurs premiers pas vers un nouveau modèle de développement qui visait à créer des prêts d’ajustement structurels afin de s’assurer que les pays endettés payaient leurs obligations. Ces prêts étaient guidés par des réformes macroéconomiques et s’appuyaient sur un partenariat avec un programme de stabilisation financière du FMI. Les programmes d’ajustement (1982 à 1986) exigeaient une discipline budgétaire des États emprunteurs dans le but d’inciter un retour à la croissance. Ils privilégiaient la stabilisation à court terme, en passant par la maîtrise de la consommation, la baisse des salaires, la réduction des dépenses sociales et l’investissement public, afin que les pays endettés puissent payer le service de leur dette [3].

Le « miracle asiatique » à l’époque a servi de modèle pour défendre les privatisations et les libéralisations économiques dans les pays en développement. L’intervention de l’État était considérée comme la cause du sous-développement des économies africaines et latino-américaines. En revanche, les pays asiatiques (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan) ont été considérés comme des exemples du modèle de marché libre qui devrait être reproduit dans d’autres régions du monde.

Au début des années 1990, après la chute du mur de Berlin, la politique des institutions financières multilatérales était déterminée par le Consensus de Washington, qui peut être défini comme un élargissement des politiques d’ajustement structurel adoptées au cours des années 1980. Lors d’une réunion qui s’est tenue dans la capitale américaine en présence des membres de la banque mondiale et du FMI, l’économiste John Williamson a établi les fameux 10 (dix) principes qui ont renforcé le positionnement néolibéral des institutions de Bretton Woods sur le développement des pays d’Amérique latine et prescrivaient les mesures qui devaient être adoptées par ces nations [4].

Nouvelle Économie Institutionnelle

Au milieu des années 1990, la vision du développement des banques multilatérales a connu de nouvelles transformations. Les principes de la nouvelle économie institutionnelle (NEI) ont commencé à se renforcer dans leur réflexion. Les institutions se sont ouvertes aux discussions internationales, révélant une conception du développement dans laquelle l’État et le secteur privé agissent ensemble pour relever les défis du développement mondial

Selon l’économiste Douglass North, l’un des pionniers de la théorie, la NEI retient l’idée de manque de ressources et de concurrence du concept d’économie néoclassique, tout en remplaçant l’idée de la « naturalité » de marchés efficaces et libres par l’affirmation de l’importance des institutions. Par conséquent, selon le concept de la NEI, les politiques macroéconomiques structurelles peuvent ne pas produire la performance souhaitée dans les pays qui les appliquent, en raison de l’absence des conditions institutionnelles qui garantissent leur succès. Cela implique que le transfert des règles politiques et économiques formelles des économies de marché occidentales prospères vers les économies du tiers-monde n’est pas une condition suffisante pour une bonne performance économique [5]. Ce nouveau concept s’éloigne du néolibéralisme, mais ne rend pas à l’État le rôle moteur, comme on le voit dans le développementalisme libéral. Le rôle de l’État dans le nouvel institutionnalisme est d’apporter un soutien, afin que le marché puisse agir efficacement [6].

Avec le succès limité des réformes macroéconomiques entre 1980 et 1990, les institutions financières multilatérales ont commencé à encourager une série de réformes institutionnelles basées sur les théories NIE et ce, à partir du milieu des années 1990 [7]. Le rapport « L’État dans un monde en mutation (1997) » est l’un des principaux documents qui représentent la transition du modèle de développement des institutions financières multilatérales vers un modèle plus proche des principes de la NEI. Le rapport souligne l’importance d’institutions publiques efficaces pour une meilleure performance économique et mentionne également l’impossibilité de promouvoir le développement sans des politiques étatiques efficaces. Selon le NEI, l’intervention de l’État n’est pas un problème en soi, puisqu’elle est effectuée pour encourager le système de marché. Donc l’État serait fondamental pour instaurer les bases et accélérer le développement. Dans ce cas, les partenariats public-privé (PPP) peuvent être la voie idéale vers la croissance économique [8].

 Sources

[1] Pereira, J. M. M. (2013). O Banco Mundial e a construção política dos programas de ajustamento estrutural nos anos 1980. Revista Brasileira de História, 33, 359-381.

[2] Berger, M. T., & Beeson, M. (1998). Lineages of liberalism and miracles of modernisation: The World Bank, the East Asian trajectory and the international development debate. Third World Quarterly, 19(3), 487-504.

[3] Pereira, J. M. M. (2013). O Banco Mundial e a construção política dos programas de ajustamento estrutural nos anos 1980. Revista Brasileira de História, 33, 359-381.

[4] Williamson, J. (2000). What should the World Bank think about the Washington Consensus? The World Bank Research Observer, 15(2), 251-264.

[5] North, D. C. (1995). The new institutional economics and third world development. In the new institutional economics and third world development (pp. 31-40). Routledge.

[6] Kraychete, E. S. (2007). Desenvolvimento: razões e limites do discurso do Banco Mundial. Caderno CRH, 19(48).

[7] Santos, A. L. N. D. (2008). A influência das organizações internacionais na reforma dos judiciários de Argentina, Brasil e México: o Banco Mundial e a agenda do acesso à Justiça. Dissertation (Master’s in Administration) – Federal University of Bahia (UFBA), Salvador

[8] Berger, M. T., & Beeson, M. (1998). Lineages of liberalism and miracles of modernisation: The World Bank, the East Asian trajectory and the international development debate. Third World Quarterly, 19(3), 487-504.

Boaz Anglade est un économiste du développement qui travaille comme consultant en développement international. Il est titulaire d’un doctorat en économie appliquée de l’Université de Floride.

 

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