Le Conseil Présidentiel de Transition à l’épreuve de la crédibilité

Le Conseil Présidentiel de Transition à l’épreuve de la crédibilité

 

Yves Pierre

Boukan News, 05/28/2024 – Depuis son installation le 25 mai dernier, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) affronte un défi de taille : asseoir sa légitimité et son autorité dans un contexte juridique et politique des plus complexes. Si cette nouvelle instance dirigeante représente l’espoir d’un nouveau départ pour de nombreux haïtiens, les importantes lacunes constatées dans son cadre légal et organisationnel risquent sérieusement d’entraver sa capacité à mener à bien sa mission de transition.

Ce samedi 25 mai marquera un mois jour pour jour depuis l’installation du CPT, le 25 avril dernier. Pourtant, force est de constater que cette instance censée incarner l’espoir d’un nouveau départ pour Haïti peine encore à véritablement démarrer sa mission, minée par des querelles intestines qui hypothèquent sa crédibilité. En l’espace d’un mois, les Haïtiens ont eu le loisir d’assister à un désolant spectacle : celui de conseillers se déchirant sur la place publique, multipliant les déclarations contradictoires et les remises en cause mutuelles sur des questions aussi cruciales que les modalités de prise de décision ou le processus de nomination du prochain Premier ministre.

Le vide juridique entourant le CPT est flagrant et préoccupant. À l’heure actuelle, aucun acte officiel publié au journal Moniteur ne définit clairement les règles encadrant son fonctionnement interne. Des questions cruciales comme la présidence tournante, le seuil de la majorité requis pour les décisions importantes ou encore le processus de nomination du prochain Premier ministre demeurent dans un flou total, faute de base légale établie. Une situation d’autant plus alarmante que le CPT est investi d’une mission de la plus haute importance : conduire la transition dans des circonstances exceptionnelles marquées par une crise sécuritaire, économique et humanitaire sans précédent.

Il serait toutefois réducteur et injuste d’attribuer ces carences uniquement à une négligence présumée des conseillers. La mise en place de cette nouvelle architecture gouvernante s’est faite dans l’urgence, sur les bases fragiles de l’accord politique du 3 avril 2024. Les membres du CPT ont dû relever un défi colossal : ériger de toutes pièces un cadre transitionnel viable, tout en composant avec les pressions politiques et les enjeux de pouvoir inhérents à une telle entreprise. Un contexte rendu d’autant plus ardu par la dégradation continue de la situation sécuritaire et humanitaire dans le pays.

Face à ces défis multiples, la transparence et une communication proactive s’imposent comme des pré-requis indispensables pour permettre au CPT d’asseoir sa crédibilité et son autorité. Comme le souligne pertinemment l’éditorial du Nouvelliste, “décréter, expliquer, clarifier” chacune des décisions prises est essentiel pour affirmer la légitimité de cette instance aux yeux de la population et des partenaires internationaux. Publier sans délai les actes juridiques manquants, détailler de manière transparente les critères retenus pour la sélection du prochain Premier ministre et communiquer ouvertement sa feuille de route permettraient de dissiper les nombreuses zones d’ombre actuelles.

Ces vaines joutes de pouvoir et ces impressions récurrentes de divisions internes jettent inévitablement une ombre sur la légitimité du CPT et nourrissent un profond scepticisme au sein de la population. Comment cette instance pourra-t-elle redonner espoir aux Haïtiens et impulser un réel changement positif si elle apparaît d’ores et déjà paralysée par ses propres démons ?

Au cours de ce mois écoulé, la crédibilité du CPT s’est dangereusement érodée un peu plus chaque jour, à mesure que les zones d’ombre juridiques et organisationnelles entourant son fonctionnement se faisaient plus criantes. Les interrogations demeurent entières sur les règles présidant à la prise de décisions cruciales, comme la nomination du Premier ministre dont on ignore tout des critères de sélection retenus.

Au-delà de l’aspect purement légal, le CPT doit impérativement démontrer une réelle cohésion et une vision commune à tous ses membres. Les déclarations contradictoires, les remises en cause publiques et les impressions récurrentes de divisions internes fragilisent dangereusement son autorité et sapent la confiance de la population. Or, une gouvernance collégiale harmonieuse et solidaire est la clé de voûte pour inspirer la confiance, rassurer les partenaires internationaux engagés aux côtés d’Haïti et impulser une dynamique positive à même de sortir le pays de l’ornière.

Cette perte de confiance semble d’autant plus préoccupante que le temps presse pour le CPT. Ses membres se sont engagés à organiser des élections générales d’ici février 2025. Un calendrier pour le moins serré quand on sait l’ampleur des chantiers à mener en amont : le rétablissement de l’ordre public, la réouverture des corridors économiques, la relance d’un processus électoral digne de ce nom, etc. Force est de reconnaître que ce premier mois a été une période de précieux gâchis pour le CPT. Un mois de perdu à se complaire dans des chamailleries contre-productives plutôt que de se consacrer pleinement à la lourde tâche qui l’attend.

Dans cette optique, l’élaboration d’un cadre juridique clair définissant avec précision les rôles, responsabilités et modalités de fonctionnement au sein du CPT apparaît comme prioritaire. Un vaste dialogue inclusif, rassemblant toutes les parties prenantes concernées, permettrait d’identifier les solutions les plus viables et pérennes, jetant ainsi les bases d’un large consensus autour des règles devant régir cette transition cruciale.

Le chemin à parcourir est semé d’embûches, les défis à relever sont titanesques. Mais le CPT n’est pas dépourvu d’atouts pour retrouver la crédibilité qui lui fait défaut actuellement. En faisant preuve d’unité, de transparence totale et d’une réelle volonté d’inscrire son action dans un cadre légal solide et accepté de tous, il peut encore gagner la confiance populaire et l’appui indispensable des partenaires internationaux.

Cependant, le temps presse et la fenêtre d’opportunité pour redresser la barre se rétrécit de jour en jour. Chaque jour perdu dans les palabres ou l’immobilisme conforte un peu plus le désespoir d’une population exsangue. Une fois encore, ce sont les Haïtiens, déjà si éprouvés, qui font les frais de ces atermoiements. Investir massivement dans la sécurité, relancer l’économie, restaurer l’autorité de l’État: autant de chantiers primordiaux qui ne pourront être menés à bien que dans un climat de confiance, de stabilité et de légitimité retrouvées.

La relance d’Haïti repose en grande partie sur les épaules de ce Conseil Présidentiel de Transition. Une responsabilité historique à l’aune des immenses attentes suscitées. Mais les conseillers ont tous les leviers en main pour faire de cette transition un tremplin vers des jours meilleurs, à condition d’agir avec détermination, unité et dans un strict respect de l’État de droit. C’est à ce prix que le CPT pourra inscrire son action dans la durée et marquer les esprits comme l’aube d’une nouvelle ère pour Haïti.

L’heure n’est définitivement plus aux querelles de chapelle qui n’ont que trop duré. Rétablir l’ordre, la stabilité et la crédibilité des institutions, voilà le défi immense que doit relever de toute urgence ce Conseil Présidentiel de Transition. Le pays n’a plus de temps à perdre dans les atermoiements stériles. C’est dans l’unité, la détermination et le respect de l’État de droit que réside la seule voie permettant au CPT de redonner espoir au peuple haïtien et d’impulser un réel renouveau dans cette période cruciale de transition.

Yves Pierre, citoyen engagé

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