Haïti à la croisée des chemins: Le silence révélateur de la nouvelle gouvernance de transition face à l’épopée de Ouanaminthe
- L’émergence d’une initiative citoyenne sans précédent
Boukan News, 06/28/2024 – Dans les annales de l’histoire haïtienne récente, peu d’événements ont suscité autant d’espoir et d’admiration que la mobilisation citoyenne exceptionnelle à Ouanaminthe. Cette initiative, aboutissant à la construction d’un canal d’irrigation vital, transcende le simple cadre d’un projet d’infrastructure. Elle incarne les prémices d’une nouvelle ère, où le peuple haïtien prend en main son destin, défiant les obstacles et les attentes.
Ce qui n’est pas sans rappeler l’engouement du peuple haïtien lors du phénomène Kita Nago qui a secoué le pays durant le mois de janvier 2013 où des centaines de milliers de personnes ont transporté, à bout de bras, un tronc d’arbre de 300 kilos, de Tiburon, située à l’extrême Sud-Ouest du pays, à cette commune de Ouanaminthe, placée à l’extrême Nord-Est du pays. Ce qui représentait pour les organisateurs, parmi eux Harry Nicolas, mieux connu sous le nom de « Mèt fèy vèt », une preuve vivante que la solidarité haïtienne n’est pas un vain mot, qu’elle existe et que le peuple haïtien a encore la capacité de soulever des montagnes.
Cependant, face à ce phénomène porteur d’espoir, un silence assourdissant émane des plus hautes sphères du pouvoir. La nouvelle gouvernance de transition, incarnée par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le gouvernement du Premier ministre Garry Conille, brille par leur mutisme. Ce silence, loin d’être anodin, soulève de profondes interrogations sur la nature et les ambitions réelles de cette nouvelle administration.
- L’héritage d’une indifférence institutionnelle persistante
- Le précédent du gouvernement d’Ariel Henry
Sous le gouvernement précédent, dirigé par Ariel Henry, l’État haïtien s’est distingué par son absence flagrante de soutien au projet de Ouanaminthe. Cette indifférence a non seulement privé l’initiative de ressources potentiellement cruciales, mais a également renforcé le sentiment d’abandon ressenti par la population vis-à-vis des institutions de l’État.
- La continuité inquiétante du silence
Malheureusement, le changement de gouvernance n’a pas entraîné le changement d’attitude espéré. Le nouvel exécutif de transition semble perpétuer cette indifférence coupable, malgré les promesses de rupture avec les pratiques antérieures. Ce silence persistant face à une initiative d’une telle envergure est d’autant plus alarmant qu’il contredit les engagements pris lors de la formation de cet exécutif bicéphale.
III. Les implications profondes d’un mutisme gouvernemental
- Une incompréhension des aspirations populaires
Le silence de la nouvelle gouvernance sur le projet de Ouanaminthe révèle une déconnexion profonde avec les réalités du terrain. En ignorant cette mobilisation citoyenne, l’exécutif démontre son incapacité à saisir les véritables enjeux du développement national et les aspirations profondes du peuple haïtien.
- La perpétuation d’un modèle de gouvernance obsolète
Ce mutisme suggère une continuité inquiétante avec les pratiques passées. Il laisse penser que malgré les promesses de renouveau, les vieilles habitudes d’une gouvernance centralisée et déconnectée des réalités locales persistent. Cette attitude va à l’encontre des attentes d’un peuple aspirant à un changement radical dans la manière dont le pays est administré et géré.
- Le mépris implicite des initiatives citoyennes
Ne pas reconnaître l’importance du projet de Ouanaminthe revient à sous-estimer la capacité des citoyens Haïtiens à être acteurs de leur propre développement. Ce silence traduit un mépris implicite pour les initiatives locales, renforçant le sentiment d’abandon et de frustration au sein de la population surtout celle des coins reculés du pays.
- Une vision limitée du développement national
L’absence de réaction de l’exécutif face à cette initiative citoyenne suggère une conception du développement encore trop dépendante de l’aide internationale et des grands projets pilotés par l’État. Cette vision étriquée néglige le potentiel immense des initiatives locales et citoyennes et de l’innovation sociale comme moteurs de développement durable.
- Les conséquences multidimensionnelles d’un silence prolongé
- Une crise de légitimité imminente
En ignorant un succès citoyen d’une telle ampleur, la nouvelle gouvernance mine sa propre légitimité dès ses premiers jours. Ce silence risque d’être interprété comme un signe de désintérêt ou d’incompétence, sapant la confiance déjà fragile du peuple envers ses institutions.
- Une opportunité manquée de redéfinir la relation État-citoyen
Le mutisme face à Ouanaminthe représente une occasion manquée de démontrer un réel changement dans l’approche gouvernementale. C’était l’opportunité idéale pour établir un nouveau paradigme de collaboration entre l’État et les initiatives citoyennes, une chance gâchée de redéfinir positivement cette relation cruciale.
- L’approfondissement du fossé de méfiance
Ce silence ne fait que creuser davantage le fossé historique entre les institutions et le peuple. Il renforce la méfiance envers l’État, perpétuant un cycle néfaste de défiance qui entrave depuis trop longtemps le développement harmonieux du pays.
- Un frein potentiel à l’innovation sociale
En ne valorisant pas cette initiative remarquable, l’exécutif risque de décourager d’autres communautés de s’engager dans des projets similaires. Ce manque de reconnaissance pourrait étouffer dans l’œuf de futures innovations sociales, privant le pays de solutions créatives et adaptées à ses défis uniques.
- L’urgence d’une réponse gouvernementale à la hauteur des enjeux
Face à ce mutisme inacceptable, il devient impératif que le nouvel exécutif de transition prenne des mesures concrètes et immédiates :
- Une reconnaissance publique et officielle de l’importance du projet de Ouanaminthe, soulignant son caractère exemplaire et inspirant.
- Des excuses formelles pour ce retard de réaction, accompagnées d’explications transparentes sur les raisons de ce silence initial.
- L’annonce d’un plan d’action concret visant à soutenir et à intégrer le projet dans la stratégie nationale de développement, avec des ressources dédiées.
- La mise en place de mécanismes pérennes pour identifier, soutenir et valoriser les initiatives citoyennes similaires à travers le pays.
- L’initiation d’un dialogue national inclusif sur un nouveau modèle de développement, basé sur l’autodétermination et la mobilisation des ressources locales.
- La création d’un fonds spécial dédié au soutien et à la réplication d’initiatives citoyennes innovantes, géré de manière transparente et participative.
- Un appel à l’action pour une gouvernance visionnaire
Le silence de la nouvelle gouvernance face à l’épopée de Ouanaminthe est plus qu’une simple omission administrative : c’est le symptôme alarmant d’une gouvernance qui risque de perpétuer les erreurs du passé, ignorant les signes d’un nouveau paradigme de développement émergent du peuple lui-même.
L’heure est venue pour le CPT et le gouvernement Conille de réaliser que l’avenir d’Haïti ne se dessine pas dans les bureaux climatisés de Port-au-Prince, mais dans les initiatives courageuses comme celle de Ouanaminthe. La fin de ce silence s’impose comme une nécessité urgente, devant laisser place à une reconnaissance active et un soutien concret à ces mouvements citoyens qui incarnent l’espoir d’une Haïti nouvelle, capable de prendre en main son propre destin.
L’histoire portera un jugement sévère sur cette nouvelle gouvernance si elle persiste dans son mutisme. Le temps presse pour qu’elle démontre par des actes concrets sa capacité à rompre avec les pratiques du passé et à embrasser pleinement le potentiel transformateur des initiatives citoyennes. C’est dans cette reconnaissance et ce soutien aux forces vives de la nation que réside la clé d’un renouveau authentique pour Haïti, ouvrant la voie à un développement durable, inclusif et ancré dans les réalités du pays.
Yves Pierre, citoyen engagé